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rompre son ressort ; que le feu actif, ou plutôt actuellement en exercice sur les matières combustibles, est le seul agent qui puisse altérer sa nature en la raréfiant, c’est-à-dire en affaiblissant, en étendant son ressort jusqu’au point de le rendre sans effet et de détruire ainsi son élasticité. Dans cet état de trop grande expansion et d’affaiblissement extrême de son ressort, et dans toutes les nuances qui précèdent cet état, l’air est capable de reprendre son élasticité, à mesure que les vapeurs des matières combustibles qui l’avaient affaiblie s’évaporeront et s’en sépareront. Mais si le ressort a été totalement affaibli et si prodigieusement étendu qu’il ne puisse plus se resserrer ni se restituer, ayant perdu toute sa puissance élastique, l’air, de volatil qu’il était auparavant, devient une substance fixe qui s’incorpore avec les autres substances, et fait dès lors partie constituante de toutes celles auxquelles il s’unit par le contact ou dans lesquelles il pénètre à l’aide de la chaleur. Sous cette nouvelle forme, il ne peut plus abandonner le feu que pour s’unir comme matière fixe à d’autres matières fixes ; et, s’il en reste quelques parties inséparables du feu, elles font dès lors portion de cet élément, elles lui servent de base et se déposent avec lui dans les substances qu’ils échauffent et pénètrent ensemble. Cet effet, qui se dans toutes les calcinations, est d’autant plus sûr et d’autant plus sensible, que la chaleur est appliquée plus longtemps ; la combustion ne demande que peu de temps pour se faire même complètement, au lieu que toute calcination suppose beaucoup de temps ; il faut pour l’accélérer amener à la surface, c’est-à-dire présenter successivement à l’air les matières que l’on veut calciner, il faut les fondre ou les diviser en parties impalpables pour qu’elles offrent à cet air plus de superficie ; il faut même se servir de soufflets, moins pour augmenter l’ardeur du feu que pour établir un courant d’air sur la surface des matières si l’on veut presser leur calcination ; et pour la compléter avec tous ces moyens, il faut souvent beaucoup de temps[1], d’où l’on doit conclure qu’il faut aussi une assez longue résidence de l’air devenu fixe dans les substances terrestres pour qu’il s’établisse à demeure sous cette nouvelle forme.

Mais il n’est pas nécessaire que le feu soit violent pour faire perdre à l’air son élasticité ; le plus petit feu et même une chaleur très médiocre, dès qu’elle est immédiatement et constamment appliquée sur une petite quantité d’air, suffisent pour en détruire le ressort ; et pour que cet air sans ressort se fixe ensuite dans les corps il ne faut qu’un peu plus ou un peu moins de temps, selon le plus ou moins d’affinité qu’il peut avoir sous cette nouvelle forme avec les matières auxquelles il s’unit. La chaleur du corps des animaux et même des végétaux est encore assez puissante pour produire cet effet : les degrés de chaleur sont différents dans les différents genres d’animaux, et à commencer par les oiseaux, qui sont les plus chauds de tous, on passe successivement aux quadrupèdes, à l’homme, aux cétacés, qui le sont moins, aux reptiles, aux poissons, aux insectes, qui le sont beaucoup moins ; et enfin les végétaux, dont la chaleur est si petite, qu’elle a paru nulle aux observateurs[2] ; quoiqu’elle soit très réelle et qu’elle surpasse

  1. Je ne sais si l’on ne calcinerait pas l’or, non pas en le tenant, comme Boyle ou Kunkel, pendant un très long temps dans un fourneau de verrerie, où la vitesse de l’air n’est pas grande, mais en le mettant près de la tuyère d’un bon fourneau à vent, et le tenant en fusion dans un vaisseau ouvert, où l’on plongerait une petite spatule, qu’on ajusterait de manière qu’elle tournerait incessamment et remuerait continuellement l’or en fusion ; car il n’y a pas de comparaison entre la force de ces feux, parce que l’air est ici bien plus accéléré que dans les fourneaux de verrerie.
  2. « Dans toutes les expériences que j’ai tentées (dit le docteur Martine), découvrir qu’aucun des végétaux acquît en vertu du principe de vie un degré de chaleur supérieur à celui du milieu environnant, et qui pût être distingué ; au contraire, tous les animaux, quelque peu que leur vie soit animée, ont un degré de chaleur plus considérable que celui de l’air ou de l’eau où ils vivent. » Essais sur les thermomètres, art. 37,