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m’a fait penser que la flamme étant nécessaire à la communication du feu, il y avait de la flamme dans toute incandescence : la couleur rouge semble en effet nous l’indiquer ; mais par l’habitude où l’on est de ne regarder comme flamme que cette matière légère qu’agite et qu’emporte l’air, on n’a pas pensé qu’il pouvait y avoir de la flamme assez dense pour ne pas obéir comme la flamme commune à l’impulsion de l’air ; et c’est ce que j’ai voulu vérifier par quelques expériences, en approchant par degrés de ligne ou de demi-ligne, des matières combustibles près de la surface du métal en incandescence et dans l’état qui suit l’incandescence[1].

Je suis donc convaincu que les matières incombustibles et même les plus fixes, telles que l’or et l’argent, sont, dans l’état d’incandescence, environnées d’une flamme dense qui ne s’étend qu’a une très petite distance et qui, pour ainsi dire, est attachée à leur surface, et je conçois aisément que, quand la flamme devient dense à un certain degré elle cesse d’obéir à la fluctuation de l’air. Cette couleur blanche ou rouge, qui sort de tous les corps en incandescence et vient frapper nos yeux, est l’évaporation de cette flamme dense qui environne le corps en se renouvelant incessamment à sa surface ; et la lumière du soleil même n’est-elle pas l’évaporation de cette flamme dense dont brille sa surface avec si grand éclat ? Cette lumière ne produit-elle pas, lorsqu’on la condense, les mêmes effets que la flamme la plus vive ? ne communique-t-elle pas le feu avec autant de promptitude et d’énergie ? ne résiste-t-elle pas comme notre flamme dense à l’impulsion de l’air ? ne suit-elle pas toujours une route directe que le mouvement de l’air ne peut ni contrarier ni changer, puisqu’en soufflant, comme je l’ai éprouvé, avec un fort soufflet sur le cône lumineux d’un miroir ardent, on ne diminue point du tout l’action de la lumière dont il est composé, et qu’on doit la regarder comme une vraie flamme plus pure et plus dense que toutes les flammes de nos matières combustibles ?

C’est donc par la lumière que le feu se communique, et la chaleur seule ne peut produire le même effet que quand elle devient assez forte pour être lumineuse. Les métaux, les cailloux, les grès, les briques, les pierres calcaires, quel que puisse être leur degré différent de chaleur, ne pourront enflammer d’autres corps que quand ils seront devenus lumineux. L’eau elle-même, cet élément destructeur du feu, et par lequel seul nous pouvons en empêcher la communication, le communique néanmoins lorsque dans un vaisseau bien fermé, tel que celui de la marmite de Papin[2], on la pénètre d’une assez grande quantité de feu pour la rendre lumineuse, et capable de fondre le plomb et l’étain, tandis que quand elle n’est que bouillante, loin de propager et de communiquer le feu, elle l’éteint sur-le-champ. Il est vrai que la chaleur seule suffit pour préparer et disposer les corps combustibles à l’inflammation, et les autres à l’incandescence ; la chaleur chasse des corps toutes les parties humides, c’est-à-dire l’eau qui de toutes les matières est celle qui s’oppose plus à l’action du feu ; et ce qui est remarquable, c’est que cette même chaleur qui dilate tous les corps ne laisse pas de les durcir en les séchant ; je l’ai reconnu cent fois, en examinant les pierres de mes grands fourneaux, surtout les pierres calcaires, elles prennent une augmentation de dureté proportionnée au temps qu’elles ont éprouvé la chaleur ; celles, par exemple, des parois extérieures du fourneau, et qui ont reçu sans interruption, pendant cinq ou six mois de suite, quatre-vingts ou quatre-vingt-cinq degrés ce chaleur constante, deviennent si dures qu’on a de la peine à les entamer avec les instruments ordinaires du tailleur de pierre ; on dirait qu’elles ont changé de qualité, quoique néanmoins elles la conservent à tous autres égards, car ces mêmes pierres n’en

  1. Voyez le détail de ces expériences dans la partie expérimentale de cet ouvrage.
  2. Dans le Digesteur de Papin, la chaleur de l’eau est portée au point de fondre le plomb et l’étain qu’on y a suspendus avec du fil de fer ou de laiton. Musschenbrœk, Essai de physique, p. 434, cité par M. de Mairan, Dissertation sur la glace, p. 192.