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neaux, et surtout la puissance des miroirs ardents, on arrivera au point de faire fondre ces matières calcaires qui paraissent être d’une nature différente de celle des autres ; puisqu’il y a mille et mille raisons de croire qu’au fond leur substance est la même, et que le verre est la base commune de toutes les matières terrestres.

Par les expériences que j’ai pu faire moi-même pour comparer la force du feu selon qu’on emploie, ou sa vitesse ou son volume ou sa masse, j’ai trouvé que le feu des plus grands et des plus puissants fourneaux de verrerie, n’est qu’un feu faible en comparaison de celui des fourneaux à soufflets, et que le feu produit au foyer d’un bon miroir ardent est encore plus fort que celui des plus grands fourneaux de forge. J’ai tenu pendant trente-six heures dans l’endroit le plus chaud du fourneau de Rouelle en Bourgogne, où l’on fait des glaces aussi grandes et aussi belles qu’à Saint-Gobain en Picardie, et où le feu est aussi violent ; j’ai tenu, dis-je, pendant trente-six heures à ce feu, de la mine de fer, sans qu’elle se soit fondue, ni agglutinée, ni même altérée en aucune manière ; tandis qu’en moins de douze heures cette mine coule en fonte dans les fourneaux de ma forge : ainsi ce dernier feu est bien supérieur à l’autre. De même j’ai fondu ou volatilisé au miroir ardent plusieurs matières que, ni le feu des fourneaux de réverbère, ni celui des plus puissants soufflets n’avait pu faire fondre, et je me suis convaincu que ce dernier moyen est le plus puissant de tous ; mais je renvoie à la partie expérimentale de mon ouvrage le détail de ces expériences importantes, dont je me contente d’indiquer ici le résultat général.

On croit vulgairement que la flamme est la partie la plus chaude du feu ; cependant rien n’est plus mal fondé que cette opinion, car on peut démontrer le contraire par les expériences les plus aisées et les plus familières. Présentez à un feu de paille ou même à la flamme d’un fagot qu’on vient d’allumer, un linge pour le sécher ou le chauffer, il vous faudra le double et le triple du temps pour lui donner le degré de sécheresse ou de chaleur bien que vous lui donnerez en l’exposant à un brasier sans flamme, ou même à un poêle chaud. La flamme a été très bien caractérisée par Newton, lorsqu’il l’a définie une fumée brûlante (flamma est fumus candens)[NdÉ 1], et cette fumée ou vapeur qui brûle n’a jamais la même quantité, la même intensité de chaleur que le corps combustible duquel elle s’échappe ; seulement en s’élevant et s’étendant au loin elle a la propriété de communiquer le feu, et de le porter plus loin que ne s’étend la chaleur du brasier, qui seule ne suffirait pas pour le communiquer même de près.

Cette communication du feu mérite une attention particulière. J’ai vu, après y avoir réfléchi, que pour la bien entendre il fallait s’aider non seulement des faits qui paraissent y avoir rapport, mais encore de quelques expériences nouvelles dont le succès ne me paraît laisser aucun doute sur la manière dont se fait cette opération de la nature. Qu’on reçoive dans un moule deux ou trois milliers de fer au sortir du fourneau, ce métal perd en peu de temps son incandescence, et cesse d’être rouge après une heure ou deux, suivant l’épaisseur plus ou moins grande du lingot. Si dans ce moment qu’il cesse de nous paraître rouge on le tire du moule, les parties inférieures seront encore rouges, mais perdront cette couleur en peu de temps. Or, tant que le rouge subsiste on pourra enflammer, allumer les matières combustibles qu’on appliquera sur ce lingot ; mais dès qu’il a perdu cet état d’incandescence, il y a des matières en grand nombre qu’il ne peut plus enflammer ; et cependant la chaleur qu’il répand est peut-être cent fois plus grande que celle d’un feu de paille qui néanmoins communiquerait l’inflammation à toutes ces matières ; cela

  1. La flamme est formée en partie de gaz et en partie de molécules solides en combustion. La portion la plus extérieure, la plus claire, mais la moins chaude de la flamme, est formée de gaz, tandis que la partie interne, plus chaude, est formée de molécules solides rougies par la combustion. La composition de la flamme explique très facilement la communication du feu par son intermédiaire dont parle ensuite Buffon.