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feu en grande masse est pesant ainsi que toute autre matière, car les astres qui sont lumineux comme le soleil, dont toute la substance paraît être de feu, n’en exercent pas moins leur force d’attraction à l’égard des astres qui ne le sont pas ; mais nous démontrerons que le feu même en très petit volume est réellement pesant, qu’il obéit comme toute autre matière à la loi générale de la pesanteur, et que par conséquent il doit avoir de même des rapports d’affinité avec les autres corps ; en avoir plus ou moins avec telle ou telle substance, et n’en avoir que peu ou point du tout avec beaucoup d’autres. Toutes celles qu’il rendra plus pesantes, comme le plomb, seront celles avec lesquelles il aura le plus d’affinité, et en le supposant appliqué au même degré et pendant un temps égal, celles de ces matières qui gagneront le plus en pesanteur seront aussi celles avec lesquelles cette affinité sera la plus grande. Un des effets de cette affinité dans chaque matière est de retenir la substance même du feu et de se l’incorporer, et cette incorporation suppose que non seulement le feu perd sa chaleur et son élasticité, mais même tout son mouvement, puisqu’il se fixe dans ces corps et en devient partie constituante. Il y a donc lieu de croire qu’il en est du feu comme de l’air, qui se trouve sous une forme fixe et concrète dans presque tous les corps, et l’on peut espérer qu’à l’exemple du docteur Hales[1], qui a su dégager cet air fixé dans tous les corps et en évaluer la quantité, il viendra quelque jour un physicien habile qui trouvera les moyens de distraire le feu de toutes les matières où il se trouve sous une forme fixe ; mais il faut auparavant faire la table de ces matières, en établissant par l’expérience les différents rapports dans lesquels le feu se combine avec toutes les substances qui lui sont analogues, et se fixe en plus ou moins grande quantité, selon que ces substances ont plus ou moins de force pour le retenir.

Car il est évident que toutes les matières dont la pesanteur augmente par l’action du feu sont douées d’une force attractive, telle que son effet est supérieur à celui de la force expansive dont les particules du feu sont animées ; puisque celle-ci s’amortit et s’éteint, que son mouvement cesse, et que d’élastiques et fugitives qu’étaient ces particules ignées, elles deviennent fixes, solides et prennent une forme concrète. Ainsi les matières qui augmentent de poids par le feu comme l’étain, le plomb, les fleurs de zinc, etc., et toutes les autres qu’on pourra découvrir, sont des substances qui, par leur affinité avec le feu, l’attirent et se l’incorporent. Toutes les matières, au contraire, qui, comme le fer, le cuivre, etc., deviennent plus légères à mesure qu’on les calcine, sont des substances dont la force attractive, relativement aux particules ignées, est moindre que la force expansive du feu ; et c’est ce qui fait que le feu, au lieu de se fixer dans ces matières, en enlève au contraire et en chasse les parties les moins liées qui ne peuvent résister à son impulsion. Enfin celles qui, comme l’or, le platine, l’argent, le grès, etc., ne perdent ni n’acquièrent par l’application du feu, et qu’il ne fait, pour ainsi dire, que traverser sans en rien enlever et sans y rien laisser, sont des substances qui, n’ayant aucune affinité avec le feu et ne pouvant se joindre avec lui, ne peuvent par conséquent ni le retenir ni l’accompagner en se laissant enlever. Il est évident que les matières des deux premières classes ont avec le feu un certain degré d’affinité, puisque celles de la seconde classe se chargent du feu qu’elles retiennent, et que le feu se charge de celles de la première classe et qu’il les emporte, au lieu que les matières de la troisième classe auxquelles il ne donne ni n’ôte rien, n’ont aucun rapport d’affinité ou d’attraction avec lui, et sont, pour ainsi dire, indifférentes à son action, qui ne peut ni les dénaturer ni même les altérer.

Cette division de toutes les matières en trois classes relatives à l’action du feu, n’exclut

  1. Le phsophore, qui n’est, pour ainsi dire, qu’une matière ignée, une substance qui conserve et condense le feu, serait le premier objet des expériences qu’il faudrait faire pour traiter le feu comme M. Hales a traité l’air, et le premier instrument qu’il faudrait employer pour ce nouvel art.