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nistration de cet élément, je divise de même en trois classes toutes les matières que l’on peut soumettre à son action. Je mets à part pour un moment celles qui sont purement combustibles et qui proviennent immédiatement des animaux et des végétaux, et je divise toutes les matières minérales en trois classes relativement à l’action du feu : la première est celle des matières que cette action, longtemps continuée, rend plus légères, comme le fer[NdÉ 1] ; la seconde, celle des matières que cette même action du feu rend plus pesantes, comme le plomb ; et la troisième classe est celle des matières sur lesquelles, comme sur l’or, cette action du feu ne paraît produire aucun effet sensible, puisqu’elle n’altère point leur pesanteur ; toutes les matières existantes et possibles, c’est-à-dire toutes les substances simples et composées, seront nécessairement comprises dans l’une de ces trois classes. Ces expériences par les trois procédés, qui ne sont pas difficiles à faire et qui ne demandent que de l’exactitude et du temps, pourraient nous découvrir plusieurs choses utiles et seraient très nécessaires pour fonder sur des principes réels la théorie de la chimie : cette belle science, jusqu’à nos jours, n’a porté que sur une nomenclature précaire et sur des mots d’autant plus vagues qu’ils sont plus généraux. Le feu étant, pour ainsi dire, le seul instrument de cet art, et sa nature n’étant point connue non plus que ses rapports avec les autres corps, on ne sait ni ce qu’il y met ni ce qu’il en ôte ; on travaille donc à l’aveugle, et l’on ne peut arriver qu’à des résultats obscurs que l’on rend encore plus obscurs en les érigeant en principes. Le phlogistique, le minéralisateur, l’acide, l’alcali, etc., ne sont que des termes créés par la méthode, dont les définitions sont adoptées par convention, et ne répondent à aucune idée claire et précise, ni même à aucun être réel. Tant que nous ne connaîtrons pas mieux la nature du feu, tant que nous ignorerons ce qu’il ôte ou donne aux matières qu’on soumet à son action, il ne sera pas possible de prononcer sur la nature de ces mêmes matières d’après les opérations de la chimie, puisque chaque matière à laquelle le feu ôte ou donne quelque chose n’est plus la substance simple que l’on voudrait connaître, mais une matière composée et mélangée, ou dénaturée et changée par l’addition ou la soustraction d’autres matières que le feu en enlève ou y fait entrer.

Prenons pour exemple de cette addition et de cette soustraction le plomb et le marbre ; par la simple calcination l’on augmente le poids du plomb de près d’un quart, et l’on diminue celui du marbre de près de moitié ; il y a donc un quart de matière inconnue que le feu donne au premier, et une moitié d’autre matière également inconnue qu’il enlève au second ; tous les raisonnements de la chimie ne nous ont pas démontré jusqu’ici ce que c’est que cette matière donnée ou enlevée par le feu ; et il est évident que lorsqu’on travaille sur le plomb et sur le marbre après leur calcination, ce ne sont plus ces matières simples que l’on traite, mais d’autres matières dénaturées et composées par l’action du feu. Ne serait-il donc pas nécessaire avant tout de procéder d’après les vues que je viens d’indiquer, de voir d’abord sous un même coup d’œil toutes les matières que le feu ne change ni n’altère, ensuite celles que le feu détruit ou diminue, et enfin celles qu’il augmente et compose en s’incorporant avec elles ?

Mais examinons de plus près la nature du feu, considéré en lui-même. Puisque c’est une substance matérielle, il doit être sujet à la loi générale à laquelle toute matière est soumise, il est le moins pesant de tous les corps, mais cependant il pèse ; et quoique ce que nous avons dit précédemment suffise pour le prouver évidemment, nous le démontrerons encore par des expériences palpables, et que tout le monde sera en état de répéter aisément. On pourrait d’abord soupçonner par la pesanteur réciproque des astres que le

  1. Le fer, pas plus qu’aucune autre substance, n’est rendu « plus léger » par le feu : celui-ci ne rend non plus aucune substance plus pesante. Cette classification est donc aussi fausse qu’inutile.