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combustibles pour sa production ; il se trouve dans les volcans, et il semble que la nature ne le produise que par effort et par le moyen du plus grand feu ; tout concourt donc à nous prouver qu’il est de la même nature que les autres matières combustibles, et que par conséquent il tire, comme elles, sa première origine au détriment des êtres organisés.

Mais je vais plus loin : les acides eux-mêmes viennent en grande partie de la décomposition des substances animales ou végétales, et contiennent en conséquence des principes de la combustion. Prenons pour exemple le salpêtre : ne doit-il pas son origine à ces matières ? n’est-il pas formé par la putréfaction des végétaux, ainsi que des urines et des excréments des animaux ? Il me semble que l’expérience le démontre, puisqu’on ne cherche, on ne trouve le salpêtre que dans les habitations où l’homme et les animaux ont longtemps résidé ; et puisqu’il est immédiatement formé du détriment des substances animales et végétales, ne doit-il pas contenir une prodigieuse quantité d’air et de feux fixes ? aussi en contient-il beaucoup, et même beaucoup plus que le soufre, le charbon, l’huile, etc. Toutes ces matières combustibles ont besoin, comme nous l’avons dit, du secours de l’air pour brûler, et se consument d’autant plus vite, qu’elles en reçoivent en plus grande quantité ; le salpêtre n’en a pas besoin dès qu’il est mêlé avec quelques-unes de ces matières combustibles ; il semble porter en lui-même le réservoir de tout l’air nécessaire à sa combustion : en le faisant détonner lentement, on le voit souffler son propre feu, comme le ferait un soufflet étranger ; en le renfermant le plus étroitement, son feu, loin de s’éteindre, n’en prend que plus de force, et produit les explosions terribles sur lesquelles sont fondés nos arts meurtriers. Cette combustion si prompte est en même temps si complète qu’il ne reste presque rien après l’inflammation, tandis que toutes les autres matières enflammées laissent des cendres ou d’autres résidus qui démontrent que leur combustion n’est pas entière, ou, ce qui revient au même, qu’elles contiennent un assez grand nombre de parties fixes qui ne peuvent ni se brûler ni même se volatiliser. On peut de même démontrer que l’acide vitriolique contient aussi beaucoup d’air et de feu fixes, quoique en moindre quantité que l’acide nitreux ; et dès lors il tire, comme celui-ci, son origine de la même source, et le soufre, dans la composition duquel cet acide entre si abondamment, tire des animaux et des végétaux tous les principes de sa combustibilité.

Le phosphore artificiel, qui est le premier dans l’ordre des matières combustibles, et dont l’acide est différent de l’acide nitreux et de l’acide vitriolique, ne se tire aussi que du règne animal, ou, si l’on veut, en partie du règne végétal élaboré dans les animaux, c’est-à-dire des deux sources de toute matière combustible. Le phosphore s’enflamme de lui-même, c’est-à-dire sans communication de matière ignée, sans frottement, sans autre addition que celle du contact de l’air ; autre preuve de la nécessité de cet élément pour la combustion même d’une matière qui ne paraît être composée que de feu. Nous démontrerons dans la suite que l’air est contenu dans l’eau sous une forme moyenne, entre l’état d’élasticité et celui de fixité ; le feu paraît être dans le phosphore à peu près dans ce même état moyen, car, de même que l’air se dégage de l’eau dès que l’on diminue la pression de l’atmosphère, le feu se dégage du phosphore lorsqu’on fait cesser la pression de l’eau où l’on est obligé de le tenir submergé pour pouvoir le garder et empêcher son feu de s’exalter. Le phosphore semble contenir cet élément sous une forme obscure et condensée, et il paraît être pour le feu obscur ce qu’est le miroir ardent pour le feu lumineux, c’est-à-dire un moyen de condensation.

Mais sans nous soutenir plus longtemps à la hauteur de ces considérations générales, auxquelles je pourrai revenir lorsqu’il sera nécessaire, suivons d’une manière plus directe et plus particulière l’examen du feu ; tâchons de saisir ses effets et de les présenter sous un point de vue plus fixe qu’on ne l’a fait jusqu’ici.

L’action du feu sur les différentes substances dépend beaucoup de la manière dont on l’applique, et le produit de son action sur une même substance paraîtra différent selon la