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par sa longue résidence dans la matière et par son choc contre ses parties fixes, s’unir, s’incorporer avec elles, et s’éteindre par parties comme le fait la lumière[1].

Si nous considérons plus particulièrement la nature des matières combustibles, nous verrons que toutes proviennent originairement des végétaux, des animaux, des êtres en un mot qui sont placés à la surface du globe que le soleil éclaire, échauffe et vivifie ; les bois, les charbons, les tourbes, les bitumes, les résines, les huiles, les graisses, les suifs, qui sont les vraies matières combustibles, puisque toutes les autres ne le sont qu’autant elles en contiennent, ne proviennent-ils pas tous des corps organisés ou de leurs détriments ? Le bois et même le charbon ordinaire, les graisses, les huiles par expression, la cire et le suif, ne sont que des substances extraites immédiatement des végétaux et des animaux ; les tourbes, les charbons fossiles, les succins, les bitumes liquides ou concrets, sont des produits de leur mélange et de leur décomposition, dont les détriments ultérieurs forment les soufres et les parties combustibles du fer, du zinc, des pyrites et de tous les minéraux que l’on peut enflammer. Je sens que cette dernière assertion ne sera pas admise, et pourra même être rejetée, surtout par ceux qui n’ont étudié la nature que par la voie de la chimie ; mais je les prie de considérer que leur méthode n’est pas celle de la nature, qu’elle ne pourra le devenir ou même s’en approcher qu’autant qu’elle s’accordera avec la saine physique, autant qu’on en bannira non seulement les expressions obscures et techniques, mais surtout les principes précaires, les êtres fictifs auxquels on fait jouer le plus grand rôle, sans néanmoins les connaître. Le soufre, en chimie, n’est que le composé de l’acide vitriolique et du phlogistique[NdÉ 1] ; quelle apparence y a-t-il donc qu’il puisse, comme les autres matières combustibles, tirer son origine du détriment des végétaux ou des animaux ? À cela je réponds, même en admettant cette définition chimique, que l’acide vitriolique, et en général tous les acides, tous les alcalis, sont moins des substances de la nature que des produits de l’art. La nature forme des sels et du soufre, elle emploie à leur composition, comme à celle de toutes les autres substances, les quatre éléments ; beaucoup de terre et d’eau, un peu d’air et de feu entrent en quantité variable dans chaque différente substance saline ; moins de terre et d’eau, et beaucoup plus d’air et de feu, semblent entrer dans la composition du soufre[NdÉ 2]. Les sels et les soufres doivent être regardés comme des êtres de la nature dont on extrait, par le secours de l’art de la chimie et par le moyen du feu, les différents acides qu’ils contiennent ; et puisque nous avons employé le feu, et par conséquent de l’air et des matières combustibles pour extraire ces acides, pouvons-nous douter qu’ils n’aient retenu et qu’ils ne contiennent réellement des parties de matière combustible qui y seront entrées pendant l’extraction ?

Le phlogistique est encore bien moins que l’acide un être naturel ; ce ne serait même qu’un être de raison si on ne le regardait pas comme un composé d’air et de feu devenu fixe et inhérent aux autres corps. Le soufre peut en effet contenir beaucoup de ce phlogistique, beaucoup aussi d’acide vitriolique ; mais il a, comme toute autre matière, et sa terre et son eau ; d’ailleurs son origine indique qu’il faut une grande consommation de matières

  1. Ceci même pourrait se prouver par une expérience qui mériterait d’être poussée plus loin. J’ai recueilli sur un miroir ardent par réflexion une assez forte chaleur sans aucune lumière au moyen d’une plaque de tôle mise entre le brasier et le miroir ; une partie de la chaleur s’est réfléchie au foyer du miroir, tandis que tout le reste de la chaleur l’a pénétré ; mais je n’ai pu m’assurer si l’augmentation de chaleur dans la matière du miroir n’était pas aussi grande que s’il n’en eût pas réfléchi.
  1. Le soufre est un corps dit « simple ».
  2. Il n’entre dans la composition du soufre pur ni terre ni eau. Tout ce passage traduit exactement l’ignorance de Buffon et de ses contemporains en matière de chimie.