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de l’air le feu le plus violent ne les consume pas, et même ne leur cause aucune altération sensible, au lieu qu’avec de l’air une seule étincelle de feu les embrase, et qu’à mesure qu’on fournit de l’air en plus ou moins grande quantité, le feu devient dans la même proportion plus vif, plus étendu, plus dévorant. De sorte qu’on peut mesurer la célérité ou la lenteur avec laquelle le feu consume les matières combustibles, par la quantité plus ou moins grande de l’air qu’on lui fournit. Ces matières ne sont donc, pour le feu, que des aliments secondaires qu’il ne peut s’approprier par lui-même, et dont il ne peut faire usage qu’autant que l’air s’y mêlant, les rapproche de la nature du feu en les modifiant, et leur sert d’intermède pour les y réunir.

On pourra (ce me semble) concevoir clairement cette opération de la nature, en considérant que le feu ne réside pas dans les corps d’une manière fixe, qu’il n’y fait ordinairement qu’un séjour instantané, qu’étant toujours en mouvement expansif, il ne peut subsister dans cet état qu’avec les matières susceptibles de ce même mouvement ; que l’air s’y prêtant avec toute facilité, la somme de ce mouvement devient plus grande, l’action du feu plus vive, et que dès lors les parties les plus volatiles des matières comestibles, telles que les molécules aériennes, huileuses, etc., obéissant sans effort à ce mouvement expansif qui leur est communiqué, elles s’élèvent en vapeurs ; que ces vapeurs se convertissent en flamme par le même secours de l’air extérieur ; et qu’enfin, tant qu’il subsiste dans les corps combustibles quelques parties capables de recevoir par le secours de l’air ce mouvement d’expansion, elles ne cessent de s’en séparer pour suivre l’air et le feu dans leur route, et par conséquent se consumer en s’évaporant avec eux.

Il y a de certaines matières, telles que le phosphore artificiel, le pyrophore, la poudre à canon, qui paraissent à la première vue faire une exception à ce que je viens de dire car elles n’ont pas besoin, pour s’enflammer et se consumer en entier, du secours d’un air renouvelé ; leur combustion peut s’opérer dans les vaisseaux les mieux fermés ; mais c’est par la raison que ces matières, qu’on doit regarder comme les plus combustibles de toutes, contiennent dans leur substance tout l’air nécessaire à leur combustion. Leur feu produit d’abord cet air et le consume à l’instant, et comme il est en très grande quantité dans ces matières, il suffit à leur pleine combustion, qui dès lors n’a pas besoin, comme toutes les autres, du secours d’un étranger.

Cela semble nous indiquer que la différence la plus essentielle qu’il y ait entre les matières combustibles et celles qui ne le sont pas, c’est que celles-ci ne contiennent que peu ou point de ces matières légères, aériennes, huileuses, susceptibles du mouvement expansif, ou que, si elles en contiennent, elles s’y trouvent fixées et retenues ; en sorte que, quoique volatiles en elles-mêmes, elles ne peuvent exercer leur volatilité toutes les fois que la force du feu n’est pas assez grande pour surmonter la force d’adhésion qui les retient unies aux parties fixes de la matière. On peut même dire que cette induction, qui se tire immédiatement de mes principes, se trouve confirmée par un grand nombre d’observations bien connues des chimistes et des physiciens ; mais ce qui paraît l’être moins, et qui cependant en est une conséquence nécessaire, c’est que toute matière pourra devenir volatile dès que l’homme pourra augmenter assez la force expansive du feu, pour la rendre supérieure à la force attractive qui tient unies les parties de la matière que nous appelons fixes ; et, d’autre côté, il s’en faut bien que nous ayons un feu aussi fort que nous pourrions l’avoir par des miroirs mieux conçus que ceux dont on s’est servi jusqu’à ce jour ; et, d’autre côté, nous sommes assurés que la fixité n’est qu’une qualité relative, et qu’aucune matière n’est d’une fixité absolue ou invincible, puisque la chaleur dilate les corps les plus fixes. Or, cette dilatation n’est-elle pas l’indice d’un commencement de séparation qu’on augmente avec le degré de chaleur jusqu’à la fusion, et qu’avec une chaleur encore plus grande on augmenterait jusqu’à la volatilisation ?

La combustion suppose quelque chose de plus que la volatilisation ; il suffit pour celle-