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L’air est le premier aliment du feu[NdÉ 1], les matières combustibles ne sont que le second ; j’entends par premier aliment celui qui est toujours nécessaire, et sans lequel le feu ne pourrait faire aucun usage des autres. Des expériences connues de tous les physiciens, nous démontrent qu’un petit point de feu, tel que celui d’une bougie placée dans un vase bien fermé, absorbe en peu de temps une grande quantité d’air, et qu’elle s’éteint aussitôt que la quantité ou la qualité de cet aliment lui manque. D’autres expériences bien connues des chimistes prouvent que les matières les plus combustibles, telles que les charbons, ne se consument pas dans des vaisseaux bien clos, quoique exposés à l’action du plus grand feu. L’air est donc le premier, le véritable aliment du feu, et les matières combustibles ne peuvent lui en fournir que par le secours et la médiation de cet élément, dont il est nécessaire, avant d’aller plus loin, que nous considérions ici quelques propriétés.

Nous avons dit que toute fluidité avait la chaleur pour cause, et en comparant quelques fluides ensemble nous voyons qu’il faut beaucoup plus de chaleur pour tenir le fer en fusion que l’or, beaucoup plus pour y tenir l’or que l’étain, beaucoup moins pour y tenir la cire, beaucoup moins pour y tenir l’eau, encore beaucoup moins pour y tenir l’esprit-de-vin, et enfin excessivement moins pour y tenir le mercure, puisqu’il ne perd sa fluidité qu’au cent quatre-vingt-septième degré au-dessous de celui où l’eau perd la sienne[NdÉ 2]. Cette matière, le mercure, serait donc le plus fluide des corps si l’air ne l’était encore plus. Or, que nous indique cette fluidité plus grande dans l’air que dans aucune matière ? Il me semble qu’elle suppose le moindre degré possible d’adhérence entre ses parties constituantes ; ce qu’on peut concevoir en les supposant de figure à ne pouvoir se toucher qu’en un point. On pourrait croire aussi qu’étant douées de si peu d’énergie apparente, et de si peu d’attraction mutuelle des unes vers les autres, elles sont par cette raison moins massives et plus légères que celles de tous les autres corps. Mais cela me paraît démenti par la comparaison du mercure, le plus fluide des corps après l’air, et dont néanmoins les parties constituantes paraissent être plus massives et plus pesantes mais seulement que leur adhérence est d’autant moindre, leur union d’autant moins intime, et leur séparation d’autant plus aisée. S’il faut mille degrés de chaleur pour entretenir la fluidité de l’eau, il n’en faudra peut-être qu’un pour maintenir celle de l’air.

L’air est donc de toutes les matières connues, celle que la chaleur divise le plus facilement, celle dont les parties lui obéissent avec le moins de résistance, celle qu’elle met le plus aisément en mouvement expansif, et contraire à celui de la force attractive. Ainsi l’air est tout près de la nature du feu, dont la principale propriété consiste dans ce mouvement expansif ; et quoique l’air ne l’ait pas par lui-même, la plus petite particule de chaleur ou de feu suffisant pour le lui communiquer, on doit cesser d’être étonné de ce que l’air augmente si fort l’activité du feu, et de ce qu’il est si nécessaire à sa subsistance[NdÉ 3]. Car étant de toutes les substances celle qui prend le plus aisément le mouvement expansif, ce sera celle aussi que le feu entraînera, enlèvera de préférence à toute autre, ce sera celle qu’il s’appropriera le plus intimement comme étant de la nature la plus voisine de la sienne, et par conséquent l’air doit être du feu l’adminicule le plus puissant, l’aliment le plus convenable, l’ami le plus intime et le plus nécessaire.

Les matières combustibles que l’on regarde vulgairement comme les vrais aliments du feu, ne lui servent néanmoins, ne lui profitent en rien dès qu’elles sont privées du secours

  1. Ce n’est pas l’air lui-même, mais l’oxygène de l’air.
  2. Ce chiffre est trop fort. L’eau, perdant sa fluidité à 0° centigrade, le mercure perd la sienne à 40° centigrade au-dessous de zéro. [Note de Wikisource : De manière générale, les températures avancées par Buffon sont toutes surévaluées : ainsi, le froid absolu est atteint, non pas à mille ou dix mille degrés en-dessous de zéro, mais à « seulement » −273° environ.]
  3. À l’époque de Buffon, on était totalement ignorant des phénomènes d’oxydation.