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toujours du centre à la circonférence, et qui s’éloigne perpendiculairement de la surface de la terre est, à mon avis, un grand agent dans la nature ; l’on ne peut guère douter qu’elle n’ait la principale influence sur la perpendicularité de la tige des plantes, sur les phénomènes de l’électricité, dont la principale cause est le frottement ou mouvement en sens contraire, sur les effets du magnétisme, etc. Mais comme je ne prétends pas faire ici un traité de physique, je me bornerai aux effets de cette chaleur sur les autres éléments. Elle suffit seule, elle est même bien plus grande qu’il ne faut pour maintenir la raréfaction de l’air au degré que nous respirons ; elle est plus que suffisante pour entretenir l’eau dans son état de liquidité, car on a descendu des thermomètres jusqu’à 120 brasses de profondeur[1], et les retirant promptement, on a vu que la température de l’eau y était à très peu près la même dans l’intérieur de la terre à pareille profondeur, c’est-à-dire, de 10 degrés 2/3. Et comme l’eau la plus chaude monte toujours à la surface et que le sel l’empêche de geler, on ne doit pas être surpris de ce qu’en général la mer ne gèle pas, et que les eaux douces ne gèlent que d’une certaine épaisseur, l’eau du fond restant toujours liquide, lors même qu’il fait le plus grand froid et que les couches supérieures sont en glace de dix pieds d’épaisseur.

Mais la terre est celui de tous les éléments sur lequel cette chaleur intérieure a dû produire et produit encore les plus grands effets. On ne peut pas douter, après les preuves que j’en ai données[2], que cette chaleur n’ait été originairement bien plus grande qu’elle ne l’est aujourd’hui ; ainsi on doit lui rapporter, comme à la cause première, toutes les sublimations, précipitations, agrégations, séparations, en un mot, tous les mouvements qui se sont faits et se font chaque jour dans l’intérieur du globe, et surtout dans la couche extérieure où nous avons pénétré, et dont la matière a été remuée par les agents de la nature, ou par les mains de l’homme : car à une ou peut être deux lieues de profondeur on ne peut guère présumer qu’il y ait eu des conversions de matière, ni qu’il s’y fasse encore des changements réels : toute la masse du globe ayant été fondue, liquéfiée par le feu, l’intérieur n’est qu’un verre ou concret ou discret, dont la substance simple ne peut recevoir aucune altération par la chaleur seule ; il n’y a donc que la couche supérieure et superficielle qui, étant exposée à l’action des causes extérieures, aura subi toutes les modifications, toutes les différences, toutes les formes, en un mot, des substances minérales.

Le feu qui ne paraît être, à la première vue, qu’un composé de chaleur et de lumière, ne serait-il pas encore une modification de la matière qu’on doive considérer à part, quoiqu’elle ne diffère pas essentiellement de l’une ou de l’autre, et encore moins des deux prises ensemble ? Le feu n’existe jamais sans chaleur, mais il peut exister sans lumière. On verra, par mes expériences, que la chaleur seule, et dénuée de toute apparence de lumière, peut produire les mêmes effets que le feu le plus violent : on voit aussi que la lumière seule, lorsqu’elle est réunie, produit les mêmes effets ; elle semble porter en elle-même une substance qui n’a pas besoin d’aliment ; le feu ne peut subsister au contraire qu’en absorbant de l’air, et il devient d’autant plus violent qu’il en absorbe davantage[NdÉ 1], tandis que la lumière concentrée et reçue dans un vase purgé d’air agit comme le feu dans l’air, et que la chaleur resserrée, retenue dans un espace clos, subsiste et même augmente avec une très petite quantité d’aliments. La différence la plus générale entre le feu, la chaleur et la lumière me paraît donc consister dans la quantité, et peut-être dans la qualité de leurs aliments.

  1. Le feu est produit par l’oxydation rapide, intense et destructive des matériaux que l’on désigne par l’épithète de combustibles.
  1. Histoire physique de la mer, par M. le comte Marsigli, p. 16.
  2. Voyez dans cet ouvrage l’article de la Formation des planètes, et ci-après les articles des Époques de la nature.