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lumière s’incorpore, s’amortit et s’éteint dans tous ceux qui ne la réfléchissent pas, ou qui ne la laissent pas passer librement. Faites chauffer à tous degrés toute sorte, tous perdront en peu de temps la chaleur acquise, tous reviendront au degré de la température générale, et n’auront par conséquent que la même chaleur qu’ils avaient auparavant. Recevez de même la lumière en plus ou moins grande quantité sur des corps noirs ou blancs, bruts ou polis, vous reconnaîtrez aisément que les uns l’admettent, les autres la repoussent, et qu’au lieu d’être affectés d’une manière uniforme comme ils le sont par la chaleur, ils ne le sont que d’une manière relative à leur nature, à leur couleur, à leur poli ; les noirs absorberont plus la lumière que les blancs, les bruts que les polis. Cette lumière une fois absorbée reste fixe et demeure dans les corps qui l’ont admise, elle ne reparaît plus, elle n’en sort pas comme le fait la chaleur : d’où l’on devrait conclure que les atomes de la lumière peuvent devenir parties constituantes des corps en s’unissant à la matière qui les compose ; au lieu que la chaleur, ne se fixant pas, semble empêcher au contraire l’union de toutes les parties de la matière, et n’agir que pour les tenir séparées.

Cependant il y a des cas où la chaleur se fixe à demeure dans les corps, et d’autres cas où la lumière qu’ils ont absorbée reparaît et en sort comme la chaleur. Les diamants, les autres pierres transparentes qui s’imbibent de la lumière du soleil ; les pierres opaques, comme celles de Bologne, qui, par la calcination, reçoivent les particules d’un feu brillant ; tous les phosphores naturels rendent la lumière qu’ils ont absorbée, et cette restitution ou déperdition de lumière fait successivement, et avec le temps, à peu près comme se fait celle de la chaleur. Et peut-être la même chose arrive dans les corps opaques en tout ou en partie. Quoi qu’il en soit, il paraît d’après tout ce qui vient d’être dit que l’on doit reconnaître deux sortes de chaleur, l’une lumineuse, dont le soleil est le foyer immense, et l’autre obscure, dont le grand réservoir est le globe terrestre. Notre corps, comme faisant partie du globe, participe à cette chaleur obscure ; et c’est par cette raison qu’étant obscure par elle-même, c’est-à-dire sans lumière, elle est encore obscure pour nous, parce que nous ne nous en apercevons par aucun de nos sens. Il en est de cette chaleur du globe comme de son mouvement, nous y sommes soumis, nous y participons sans le sentir et sans nous en douter. De là il est arrivé que les physiciens ont porté d’abord toutes leurs vues, toutes leurs recherches sur la chaleur du soleil, sans soupçonner qu’elle ne faisait qu’une très petite partie de celle que nous éprouvons réellement[NdÉ 1] ; ayant fait des instruments pour reconnaître la différence de chaleur immédiate des rayons du soleil en été à celle de ces mêmes rayons en hiver, ils ont trouvé avec étonnement que cette chaleur solaire est, en été, soixante-six fois plus grande qu’en hiver dans notre climat, et que néanmoins la plus grande chaleur de notre été ne différait que d’un septième du plus grand froid de notre hiver : d’où ils ont conclu avec grande raison qu’indépendamment de la chaleur que nous recevons du soleil, il en émane une autre du globe même de la terre, bien plus considérable, et dont celle du soleil n’est que le complément ; en sorte qu’il est aujourd’hui démontré que cette chaleur qui s’échappe de l’intérieur de la terre[1] est, dans notre climat, au moins vingt-neuf fois en été et quatre cents fois en hiver, plus grande que la chaleur qui nous vient du soleil[NdÉ 2] ; je dis au moins, car

  1. Voyez l’Histoire de l’Académie des sciences, année 1702, p. 7 ; et le Mémoire de M. Amontons, p. 155. — Les Mémoires de M. de Mairan, année 1710, p. 104 ; année 1721, p. 8 ; année 1765, p. 143.
  1. C’est le contraire qui est vrai. La plus grande partie de la chaleur de la surface de notre globe provient du soleil ; une partie très minime seulement provient des foyers de calorique terrestres.
  2. Voyez la note précédente.