Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 2.pdf/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voit la lumière à de très grandes distances ; qu’on approche peu à peu la main d’un corps excessivement chaud, on s’apercevra par la seule sensation que la chaleur augmente beaucoup plus que l’espace ne diminue : car on se chauffe souvent avec plaisir à une distance qui ne diffère que de quelques pouces de celle où l’on se brûlerait. Tout paraît donc nous indiquer que la chaleur diminue en plus grande raison que la lumière, à mesure que toutes deux s’éloignent du foyer dont elles partent.

Ainsi l’on peut croire que les atomes de la lumière sont fort refroidis lorsqu’ils arrivent à la surface de notre atmosphère, mais qu’en traversant la grande épaisseur de cette masse transparente, ils reprennent par le frottement une nouvelle chaleur. La vitesse infinie avec laquelle les particules de la lumière frôlent celles de l’air doit produire une chaleur d’autant plus grande, que le frottement est plus multiplié ; et c’est probablement par cette raison que la chaleur des rayons solaires se trouve, par l’expérience, beaucoup plus grande dans les couches inférieures de l’atmosphère, et que le froid de l’air paraît augmenter si considérablement à mesure qu’on s’élève. Peut-être aussi que comme la lumière ne prend de la chaleur qu’en se réunissant, il faut un grand nombre d’atomes de lumière pour constituer un seul atome de chaleur, et que c’est par cette raison que la lumière faible de la lune, quoique frôlée dans l’atmosphère comme celle du soleil, ne prend aucun degré de chaleur sensible. Si, comme le dit M. Bouguer[1], l’intensité de la lumière du soleil à la surface de la terre est trois cent mille fois plus grande que celle de la lumière de la lune, celle-ci ne peut qu’être presque absolument insensible, même en la réunissant au foyer des plus puissants miroirs ardents, qui ne peuvent la condenser qu’environ deux mille fois, dont, ôtant la moitié pour la perte par la réflexion ou la réfraction, il ne reste qu’une trois centième partie d’intensité au foyer du miroir. Or, y a-t-il des thermomètres assez sensibles pour indiquer le degré de chaleur contenu dans une lumière trois cents fois plus faible que celle du soleil, et pourra-t-on faire des miroirs assez puissants pour la condenser davantage ?

Ainsi l’on ne doit pas inférer de tout ce que j’ai dit que la lumière puisse exister sans aucune chaleur, mais seulement que les degrés de cette chaleur sont très différents, selon les différentes circonstances, et toujours insensibles lorsque la lumière est très faible[2]. La chaleur, au contraire, paraît exister habituellement, et même se faire sentir vivement sans lumière ; ce n’est ordinairement que quand elle devient excessive que la lumière l’accompagne. Mais ce qui mettrait encore une différence bien essentielle entre ces deux modifications de la matière, c’est que la chaleur qui pénètre tous les corps ne paraît se fixer dans aucun et ne s’y arrêter que peu de temps, au lieu que le

  1. Essai d’Optique sur la gradation de la lumière.
  2. On pourrait même présumer que la lumière en elle-même est composée des parties plus ou moins chaudes : le rayon rouge, dont les atomes sont bien plus massifs et probablement plus gros que ceux du rayon violet, doit en toute circonstance conserver beaucoup plus de chaleur, et cette présomption me paraît assez fondée pour qu’on doive chercher à la constater par l’expérience ; il ne faut pour cela que recevoir, au sortir du prisme, une égale quantité de rayons rouges et de rayons violets, sur deux petits miroirs concaves ou deux lentilles réfringentes, et voir au thermomètre le résultat de la chaleur des uns et des autres. — Je me rappelle une autre expérience qui semble démontrer que les atomes bleus de la lumière sont plus petits que ceux des autres couleurs ; c’est qu’en recevant sur une feuille très mince d’or battu la lumière du soleil, elle se réfléchit toute, à l’exception des rayons bleus qui passent à travers la feuille d’or, et peignent d’un beau bleu le papier qu’on met à quelque distance derrière la feuille d’or. Ces atomes bleus sont donc plus petits que les autres, puisqu’ils passent où les autres ne peuvent passer ; mais je n’insiste pas sur les conséquences qu’on doit tirer de cette expérience, parce que cette couleur bleue, produite en apparence par la feuille d’or, peut tenir au phénomène des ombres bleues, dont je parlerai dans un des Mémoires suivants.