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canon ne peut subir le trop violent effort des épreuves qu’en y cédant autant que la cohérence de la matière le permet, sans se rompre ; et comme il s’en faut bien que cette matière de la fonte soit à ressort parfait, les parties séparées par le trop grand effort ne peuvent se rapprocher ni se rétablir comme elles étaient d’abord : cette cohésion des parties intégrantes de la fonte étant donc fort diminuée par le grand effort des épreuves, il n’est pas étonnant que le canon crève ensuite à la charge ordinaire ; c’est un effet très simple qui dérive d’une cause tout aussi simple. Si le premier coup d’épreuve écarte les parties d’une moitié ou d’un tiers de plus que le coup ordinaire, elles se rétabliront, se réuniront moins dans la même proportion ; car, quoique leur cohérence n’ait pas été détruite, puisque la pièce a résisté, il n’en est pas moins vrai que cette cohérence n’est pas si grande qu’elle était auparavant, et qu’elle diminué dans la même raison que diminue la force d’un ressort imparfait : dès lors un second ou un troisième coup d’épreuve fera éclater les pièces qui auront résisté au premier, et celles qui auront subi les trois épreuves sans se rompre ne sont guère plus sûres que les autres ; après avoir subi trois fois le même mal, c’est-à-dire le trop grand écartement de leurs parties intégrantes, elles en sont nécessairement devenues bien plus faibles, et pourront par conséquent céder à l’effort de la charge ordinaire.

Un moyen bien plus sûr, bien simple et mille fois moins coûteux pour s’assurer de la résistance des canons, serait d’en faire peser la fonte à la balance hydrostatique : en coulant le canon, l’on mettrait à part un morceau de la fonte ; lorsqu’il serait refroidi, on le pèserait dans l’air et dans l’eau, et, si la fonte ne pesait pas au moins cinq cent vingt livres le pied cube, on rebuterait la pièce comme non recevable : l’on épargnerait la poudre, la peine des hommes, et on bannirait la crainte très bien fondée de voir crever les pièces souvent après l’épreuve. Étant une fois sûr de la densité de la matière, on serait également assuré de sa résistance, et si nos canons étaient faits avec de la fonte pesant cinq cent vingt livres le pied cube, et qu’on ne s’avisât pas de les tourner ni de toucher à leur surface extérieure, j’ose assurer qu’ils résisteraient et dureraient autant qu’on se le doit promettre. J’avoue que par ce moyen, peut-être trop simple pour être adopté, on ne peut pas savoir si la pièce est saine, s’il n’y a pas dans l’intérieur de la matière des défauts, des soufflures, des cavités ; mais, connaissant une fois la bonté de la fonte, il suffirait, pour s’assurer du reste, de faire éprouver une seule fois, et à la charge ordinaire, les canons nouvellement fondus, et l’on serait beaucoup plus sûr de leur résistance que de celle de ceux qui ont subi des épreuves violentes.

Plusieurs personnes ont donné des projets pour faire de meilleurs canons : les uns ont proposé de les doubler de cuivre, d’autres de fer battu, d’autres de souder ce fer battu avec la fonte. Tout cela peut être bon à certains égards ; et dans un art, dont l’objet est aussi important et la pratique aussi difficile, les efforts doivent être accueillis et les moindres découvertes récompensées. Je ne ferai point ici d’observations sur les canons de M. Feutry, qui ne laissent pas de demander beaucoup d’art dans leur exécution ; je ne parlerai pas non plus des autres tentatives, à l’exception de celle de M. de Souville, qui m’a paru la plus ingénieuse, et qu’il a bien voulu me communiquer par sa lettre datée d’Angoulême, le 6 avril 1771, dont je donne ici l’extrait[1]. Mais je dirai seulement que la soudure

  1. « Les canons fabriqués avec des spirales ont opposé la plus grande résistance à la plus forte charge de poudre et à la manière la plus dangereuse de les charger. Il ne manque à cette méthode, pour être bonne, que d’empêcher qu’il ne se forme des chambres dans ces bouches à feu ; cet inconvénient, il est vrai, m’obligerait à l’abandonner si je n’y parvenais ; mais pourquoi ne pas le tenter ? Beaucoup de personnes ont proposé de faire des canons avec des doublures ou des enveloppes de fer forgé, mais ces doublures et ces enveloppes ont toujours été un assemblage de barres inflexibles que leur forme, leur position et leur raideur rendent inutiles. La spirale n’a pas les mêmes défauts, elle se