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On sait de tout temps que la chaleur devient d’autant moindre ou le froid d’autant plus grand qu’on s’élève plus haut dans les montagnes. Il est vrai que la chaleur qui provient du globe entier de la terre doit être moins sensible sur ces pointes avancées qu’elle ne l’est dans les plaines, mais cette cause n’est point du tout proportionnelle à l’effet, l’action de la chaleur qui émane du globe terrestre ne pouvant diminuer qu’en raison du carré de la distance, il ne paraît pas qu’à la hauteur d’une demi-lieue, qui n’est que de la trois millième partie du demi-diamètre du globe, dont le centre doit être pris pour le foyer de la chaleur ; il ne paraît pas, dis-je, que cette différence, qui dans cette supposition n’est que d’une unité sur neuf millions, puisse produire une diminution de chaleur aussi considérable, à beaucoup près, que celle qu’on éprouve en s’élevant à cette hauteur ; car le thermomètre y baisse dans tous les temps de l’année, jusqu’au point de la congélaion de l’eau ; la neige ou la glace subsistent aussi sur ces grandes montagnes à peu près à cette hauteur dans toutes les saisons : il n’est donc pas probable que cette grande différence de chaleur provienne uniquement de la différence de la chaleur de la terre : l’on en sera pleinement convaincu si l’on fait attention qu’au haut des volcans, où la terre est plus chaude qu’en aucun autre endroit de la surface du globe, le froid de l’air est à très peu près le même que dans les autres montagnes à la même hauteur.

On pourrait donc penser que les atomes de la lumière, quoique très chauds au moment de leur naissance et au sortir du soleil, refroidissent beaucoup pendant les sept minutes et demie de temps que dure leur traversée du soleil à la terre, d’autant que la durée de la chaleur ou, ce qui revient au même, le temps du refroidissement des corps étant en raison de leur diamètre, il semblerait qu’il ne faut qu’un très petit moment pour le refroidissement des atomes presque infiniment petits de la lumière ; et cela serait en effet s’ils étaient isolés, mais comme ils se succèdent presque immédiatement, et qu’ils se propagent en faisceaux d’autant plus serrés qu’ils sont plus près du lieu de leur origine, la chaleur que chaque atome perd tombe sur les atomes voisins ; et cette communication réciproque de la chaleur qui s’évapore de chaque atome entretient plus longtemps la chaleur générale de la lumière ; et comme sa direction constante est toujours en rayons divergents, que leur éloignement l’un de l’autre augmente comme l’espace qu’ils ont parcouru, et qu’en même temps la chaleur qui part de chaque atome, comme centre, diminue aussi dans la même raison, il s’ensuit que l’action de la lumière des rayons solaires décroissant en raison inverse du carré de la distance, celle de leur chaleur décroît en raison inverse du carré-carré de cette même distance.

Prenons donc pour unité le demi-diamètre du soleil, et supposant l’action de la lumière comme 1000 à la distance d’un demi-diamètre de la surface de cet astre, elle ne se sera plus que comme 1000/4 à la distance de deux demi-diamètres, que comme 1000/9 à celle de trois demi-diamètres, comme 1000/16 à la distance de quatre demi-diamètres ; et enfin, en arrivant à nous, qui sommes éloignés du soleil de trente-six millions de lieues, c’est-à-dire d’environ deux cent vingt-quatre de ses demi-diamètres, l’action de la lumière ne sera plus que comme 1000/50625, c’est-à-dire, plus de cinquante mille fois plus faible qu’au sortir du soleil, et la chaleur de chaque atome de lumière étant aussi supposée 1000 au sortir du soleil, ne sera plus que comme 1000/16, 1000/81, 1000/256 à la distance successive de 1, 2, 3 demi-diamètres, et en arrivant à nous, comme 1000/2562890625, c’est-à-dire, plus de deux mille cinq cents millions de fois plus faible qu’au sortir du soleil.

Quand même on ne voudrait pas admettre cette diminution de la chaleur de la lumière en raison du carré-carré de la distance au soleil, quoique cette estimation me paraisse un raisonnement assez clair, il sera toujours vrai que la chaleur, dans sa propagation, diminue beaucoup plus que la lumière, au moins quant à l’impression qu’elles font l’une et l’autre sur nos sens. Qu’on excite une très forte chaleur, qu’on allume un grand feu dans un point de l’espace, on ne le sentira qu’à une distance médiocre, au lieu qu’on en