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l’usage où l’on était de faire de la fonte dure, et n’ont fait couler que des fontes tendres, qu’ils ont appelées douces pour qu’on en sentît moins la différence ; dès lors tous nos canons coulés plein ont été fondus de cette matière douce, c’est-à-dire d’une assez mauvaise fonte, et qui n’a pas à beaucoup près la pureté, la densité, la résistance qu’elle devrait avoir. J’en ai acquis la preuve la plus complète par les expériences que je vais rapporter.

Au commencement de l’année 1767, on m’envoya de la forge de la Nouée en Bretagne, six tronçons de gros canons coulés plein, pesant ensemble cinq mille trois cent cinquante-huit livres. L’été suivant je les fis conduire à mes forges, et en ayant cassé les tourillons, j’en trouvai la fonte d’un assez mauvais grain, ce que l’on ne pouvait pas reconnaître sur les tranches de ces morceaux, parce qu’ils avaient été sciés avec de l’émeril ou quelque autre matière qui remplissait les pores extérieurs. Ayant pesé cette fonte à la balance hydrostatique, je trouvai qu’elle était trop légère, qu’elle ne pesait que quatre cent soixante-une livres le pied cube, tandis que celle que l’on coulait alors à mon fourneau en pesait cinq cent quatre, et que, quand je la veux encore épurer, elle pèse jusqu’à cinq cent vingt livres le pied cube. Cette seule épreuve pouvait me suffire pour juger de la qualité plus

    avec un autre mélange, et encore deux autres pièces de douze avec un troisième mélange, qui parurent si durs sous la scie et au premier foret, que M. Maritz jugea inutile de fondre avec ces mélanges de différentes mines, et fit un autre essai avec onze mille cinq cent cinquante livres de la mine de Noyal, trois mille trois cent quatre-vingt-dix livres de la mine de la Ferrière, et trois mille six cents livres de la mine des environs, faisant en tout dix-huit mille cinq cent quarante livres, dont on coula le 31 mars une pièce de douze, à trente charges basses. À la décapiterie, ainsi qu’en formant le support de la volée, M. Maritz jugea ce fer de bonne nature, mais le forage de cette pièce fut difficile, ce qui porta M. Maritz à faire une autre expérience.

    Le 1er et le 3 avril, il fit couler deux pièces de douze, pour chacune desquelles on porta trente-quatre charges, composées chacune de dix-huit mille sept cents livres de mine de Noyal et de deux mille sept cent vingt livres de mine des environs, en tout vingt-un mille quatre cent vingt livres. Ceci démontra à M. Maritz l’impossibilité qu’il y avait de fondre avec de la mine de Noyal seule, car même avec ce mélange l’intérieur du fourneau s’embarrassa au point que le laitier ne coulait plus, et que les ouvriers avaient une peine incroyable à l’arracher du fond de l’ouvrage ; d’ailleurs les deux pièces provenues de cette expérience se trouvèrent si dures au forage, et si profondément chambrées à 18 et 20 pouces de la volée, que quand même la mine de Noyal pourrait se fondre sans être alliée avec une espèce plus chaude, la fonte qui en proviendrait ne serait cependant pas d’une nature propre à couler des canons forables.

    Le 4 avril 1765, pour septième et dernière expérience, M. Maritz fit couler une neuvième pièce de douze en trente-six charges basses, et composées de onze mille huit cent quatre-vingts livres de mine de Noyal, de sept mille deux cents livres de mine de Phlemet, et de deux mille huit cent quatre-vingts livres de mine des environs, en tout vingt-un mille neuf cent soixante livres de mine.

    Après la coulée de cette dernière pièce, les ouvrages des fourneaux se trouvèrent si embarrassés, qu’on fut obligé de mettre hors, et M. Maritz congédia les fondeurs et mouleurs qu’il avait fait venir des forges d’Angoumois.

    Cette dernière pièce se fora facilement, en donnant une limaille de belle couleur ; mais lors du forage il se trouva des endroits si tendres et si peu condensés, qu’il parut plusieurs grelots de la grosseur d’une noisette qui ouvrirent plusieurs chambres dans l’âme de la pièce.

    Je n’ai rapporté les faits contenus dans cette note que pour prouver que les auteurs de la pratique du forage des canons n’ont cherché qu’à faire couler des fontes tendres, et qu’ils ont par conséquent sacrifié la matière à la forme, en rejetant toutes les bonnes fontes que leurs forets ne pouvaient entamer aisément, tandis qu’il faut au contraire chercher la matière la plus compacte et la plus dure si l’on veut avoir des canons d’une bonne résistance.