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matière, par la raison même qu’elle est moins inégale, est au total moins bonne dans le canon creux, parce que les impuretés qu’elle contient s’y trouvent mêlées partout, au lieu que dans le canon coulé plein, cette mauvaise matière reste au centre et se sépare ensuite du canon par l’opération des forets. Je penserais donc, par cette première raison, que les canons forés doivent être préférés aux canons à noyau. Si l’on pouvait cependant couler ceux-ci avec assez de précision pour n’être pas obligé de toucher à la surface intérieure ; si, lorsqu’on tire le noyau, cette surface se trouvait assez unie, assez égale dans toutes ses directions, pour n’avoir pas besoin d’être calibrée, et par conséquent en partie détruite par l’instrument d’acier, ils auraient un grand avantage sur les autres, parce que, dans ce cas, la surface intérieure se trouverait trempée comme la surface extérieure, et dès lors la résistance de la pièce se trouverait bien plus grande. Mais notre art ne va pas jusque-là : on était obligé de ratisser à l’intérieur toutes les pièces coulées creux afin de les calibrer ; en les forant on ne fait que la même chose, et on a l’avantage d’ôter toute la mauvaise matière qui se trouve autour du centre de la pièce coulée plein, matière qui reste au contraire dispersée dans toute la masse de la pièce coulée creux.

D’ailleurs les canons coulés plein, sont beaucoup moins sujets aux soufflures, aux chambres, aux gerçures ou fausses soudures, etc. Pour bien couler les canons à noyau et les rendre parfaits, il faudrait des évents, au lieu que les canons pleins n’en ont aucun besoin : comme ils ne touchent à la terre ou au sable dont leur moule est composé que par la surface extérieure, qu’il est rare, si ce moule est bien préparé, bien séché, qu’il s’en détache quelque chose, que, pourvu qu’on ne fasse pas tomber la fonte trop précipitamment et qu’elle soit bien liquide, elle ne retient ni les bulles de l’air ni celles des vapeurs qui s’exhalent à mesure que le moule se remplit dans toute sa cavité ; il ne doit pas se trouver autant de ces défauts à beaucoup près dans cette matière coulée pleine, que dans celle où le noyau, rendant à l’intérieur son air et son humidité, ne peut guère manquer d’occasionner des soufflures et des chambres qui se formeront d’autant plus aisément que l’épaisseur de la matière est moindre, sa qualité moins bonne et son refroidissement plus subit. Jusqu’ici tout semble donc concourir à donner la préférence à la pratique de couler les canons pleins : néanmoins comme il faut une moindre quantité de matière pour les canons creux, qu’il est dès lors plus aisé de l’épurer au fourneau avant de la couler, que les frais des machines à forer sont immenses, en comparaison de ceux des noyaux, on ferait bien d’essayer si, par le moyen des évents que je viens de proposer, on n’arriverait pas au point de rendre les pièces coulées à noyau assez parfaites pour n’avoir pas à craindre les soufflures, et n’être pas obligé de leur enlever la trempe de leur surface intérieure : ils seraient alors d’une plus grande résistance que les autres, auxquels on peut d’ailleurs faire quelques reproches par les raisons que je vais exposer.

Plus la fonte du fer est épurée, plus elle est compacte, dure et difficile à forer : les meilleurs outils d’acier ne l’entament qu’avec peine, et l’ouvrage de la forerie va d’autant moins vite que la fonte est meilleure. Ceux qui ont introduit cette pratique ont donc, pour la commodité de leurs machines, altéré la nature de la matière[1] ; ils ont changé

  1. Sur la fin de l’année 1762, M. Maritz fit couler aux fourneaux de la Nouée en Bretagne, des gueuses avec les mines de la Ferrière et de Noyal ; il en examina la fonte, en dressa un procès-verbal, et sur les assurances qu’il donna aux entrepreneurs, que leur fer avait toutes les qualités requises pour faire de bons canons, ils se déterminèrent à établir des mouleries, fonderies, décapiteries, centreries, foreries, et les tours nécessaires pour tourner extérieurement les pièces. Les entrepreneurs, après avoir formé leur établissement, ont mis les deux fourneaux en feu le 29 janvier 1765, et le 12 février suivant on commença à couler du canon de huit. M. Maritz, s’étant rendu à la forge le 21 mars, trouva que toutes ces pièces étaient trop dures pour souffrir le forage, et jugea à propos de changer la matière. On coula deux pièces de douze avec un nouveau mélange, et une autre pièce de douze