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que la couleur de la fonte soit d’un gris un peu brun, que le grain en soit presque aussi fin que celui de l’acier commun, que le poids spécifique soit d’environ 504 ou 505 livres par pied cube, et qu’en même temps elle soit d’une si grande résistance, qu’on ne puisse casser les gueuses avec la masse.

Tout le monde sait que, quand on commence un fondage, on ne met d’abord qu’une petite quantité de mine, un sixième, un cinquième et tout au plus un quart de la quantité qu’on mettra dans la suite, et qu’on augmente peu à peu cette première quantité pendant les premiers jours, parce qu’il en faut au moins quinze pour que le fond du fourneau soit échauffé ; on donne aussi assez peu de vent dans ces commencements, pour ne pas détruire le creuset et les étalages du fourneau en leur faisant subir une chaleur trop vive et trop subite ; il ne faut pas compter sur la qualité des fontes que l’on tire pendant ces premiers quinze ou vingt jours : comme le fourneau n’est pas encore réglé, le produit en varie suivant les différentes circonstances, mais lorsque le fourneau a acquis le degré de chaleur suffisant, il faut bien examiner la fonte et s’en tenir à la quantité de mine qui donne la meilleure ; une mesure sur dix suffit souvent pour en changer la qualité. Ainsi l’on doit toujours se tenir au-dessous de ce que l’on pourrait fondre avec la même quantité de charbon, qui ne doit jamais varier si l’on conduit bien son fourneau. Mais je réserve les détails de cette conduite du fourneau et tout ce qui regarde sa forme et sa construction pour l’article où je traiterai du fer en particulier, dans l’histoire des minéraux, et je me bornerai ici aux choses les plus générales et les plus essentielles de la fusion des mines.

Le fer étant, comme je l’ai dit, toujours de même nature dans toutes les mines en grain, on sera donc sûr, en les nettoyant et en les traitant comme je viens de le dire, d’avoir toujours de la fonte d’une bonne et même qualité ; on le reconnaîtra, non seulement à la couleur, à la finesse du grain, à la pesanteur spécifique, mais encore à la ténacité de la matière : la mauvaise fonte est très cassante, et si l’un veut en faire des plaques minces et des côtés de cheminées, le seul coup de l’air les fait fendre au moment que ces pièces commencent à se refroidir, au lieu que la bonne fonte ne casse jamais, quelque mince qu’elle soit. On peut même reconnaître au son la bonne ou la mauvaise qualité de la fonte : celle qui sonne le mieux est toujours la plus mauvaise, et lorsqu’on veut en faire des cloches, il faut, pour qu’elles résistent à la percussion du battant, leur donner plus d’épaisseur qu’aux cloches de bronze, et choisir de préférence une mauvaise fonte, car la bonne sonnerait mal.

Au reste, la fonte de fer n’est point encore un métal : ce n’est qu’une matière mêlée de fer et de verre, qui est bonne ou mauvaise, suivant la quantité dominante de l’un ou de l’autre. Dans toutes les fontes noires, brunes et grises, dont le grain est fin et serré, il y a beaucoup plus de fer que de verre ou d’autre matière hétérogène ; dans toutes les fontes blanches, où l’on voit plutôt des lames et des écailles que des grains, le verre est peut-être plus abondant que le fer : c’est par cette raison qu’elles sont plus légères et très cassantes. Le fer qui en provient conserve les mêmes qualités. On peut, à la vérité, corriger un peu cette mauvaise qualité de la fonte par la manière de la traiter à l’affinerie, mais l’art du marteleur est comme celui du fondeur, un pauvre petit métier, dont il n’y a que les maîtres de forges ignorants qui soient dupes. Jamais la mauvaise fonte ne peut produire d’aussi bon fer que la bonne ; jamais le marteleur ne peut réparer pleinement ce que le fondeur a gâté.

Cette manière de fondre la mine de fer et de la faire couler en gueuses, c’est-à-dire en gros lingots de fonte, quoique la plus générale, n’est peut-être pas la meilleure ni la moins dispendieuse : on a vu, par le résultat des expériences que j’ai citées dans ce Mémoire, qu’on peut faire d’excellent fer, et même de très bon acier, sans les faire passer par l’état de la fonte. Dans nos provinces voisines des Pyrénées, en Espagne, en Italie, en Styrie,