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sens contraire : la chaleur est donc produite par le mouvement de toute matière palpable et d’un volume quelconque, au lieu que la production de la lumière qui se fait aussi par le mouvement en sens contraire, suppose de plus la division de la matière en parties très petites ; et comme cette opération de la nature est la même pour la production de la chaleur et celle de la lumière, que c’est le mouvement en sens contraire, la rencontre des corps qui produisent l’un et l’autre, on doit en conclure que les atomes de la lumière sont solides par eux-mêmes, et qu’ils sont chauds au moment de leur naissance ; mais on ne peut pas également assurer qu’ils conservent leur chaleur au même degré que leur lumière, ni qu’ils ne cessent pas d’être chauds avant de cesser d’être lumineux. Des expériences familières paraissent indiquer que la chaleur de la lumière du soleil augmente en passant à travers une glace plane, quoique la quantité de la lumière soit diminuée considérablement par la réflexion qui se fait à la surface extérieure de la glace, et que la matière même du verre en retienne une certaine quantité. D’autres expériences plus recherchées[1] semblent prouver que la lumière augmente de chaleur à mesure qu’elle traverse une plus grande épaisseur de notre atmosphère.

  1. Un habile physicien (M. de Saussure, citoyen de Genève) a bien voulu me communiquer le résultat des expériences qu’il a faites dans les montagnes sur la différente chaleur des rayons du soleil, et je vais rapporter ici ses propres expressions. — « J’ai fait faire, en mars 1767, sept caisses rectangulaires de verre blanc de Bohême, chacune desquelles est la moitié d’un cube coupé parallèlement à sa base : la première a un pied de largeur en tout sens, sur six pouces de hauteur ; la seconde dix pouces sur cinq, et ainsi de suite jusqu’à la cinquième, qui a deux pouces sur un. Toutes ces caisses sont ouvertes par le bas, et s’emboîtent les unes dans les autres, sur une table fort épaisse de bois de poirier noirci, à laquelle elles sont fixées. J’emploie sept thermomètres à cette expérience ; l’un suspendu en l’air et parfaitement isolé à côté des boites et à la même distance du sol ; un autre posé sur la caisse extérieure en dehors de cette caisse, et à peu près au milieu ; le suivant posé de même sur la seconde caisse, et ainsi des autres jusqu’au dernier, qui est sous la cinquième caisse, et à demi noyé dans le bois de la table.

    » Il faut observer que tous ces thermomètres sont de mercure, et que tous, excepté le dernier, ont la boule nue, et ne sont pas engagés, comme les thermomètres ordinaires, dans une planche ou dans une boîte, dont le plus ou moins d’aptitude à prendre et à conserver la chaleur fait entièrement varier le résultat des expériences.

    » Tous cet appareil exposé au soleil, dans un lieu découvert, par exemple sur le mur de clôture d’une grande terrasse, je trouve que le thermomètre suspendu à l’air libre monte le moins haut de tous ; que celui qui est sur la caisse extérieure monte un peu plus haut ; ensuite celui qui est sur la seconde caisse, et ainsi des autres ; en observant cependant que le thermomètre qui est posé sur la cinquième caisse monte plus haut que celui qui est sous elle est à demi noyé dans le bois de la table : j’ai vu celui-là monter à 70 degrés de Réaumur (en plaçant le 0 à la congélation, et le 80e degré à l’eau bouillante). Les fruits exposés à cette chaleur s’y cuisent et y rendent leur jus.

    » Quand cet appareil est exposé au soleil dès le matin, on observe communément la plus grande chaleur vers les deux heures et demie après midi, et lorsqu’on le retire des rayons du soleil, il emploie plusieurs heures à son entier refroidissement.

    » J’ai fait porter ce même appareil sur une montagne élevée d’environ cinq cents toises au-dessus du lieu où se faisaient ordinairement les expériences, et j’ai trouvé que le refroidissement causé par l’élévation agissait beaucoup plus sur les thermomètres suspendus à l’air libre que sur ceux qui étaient enfermés dans les caisses de verre, quoique j’eusse eu soin de remplir les caisses de l’air même de la montagne, par égard pour la fausse hypothèse de ceux qui croient que le froid des montagnes tient de la pureté de l’air qu’on y respire. »

    Il serait à désirer que M. de Saussure, de la sagacité duquel nous devons d’excellentes choses, suivit encore plus loin ces expériences, et voulût en publier les résultats.