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assuré, par un grand nombre d’essais, que toutes les mines en grain, ou plutôt que tous les grains des différentes mines, sont à très peu près de la même substance. Le fer est un dans la nature, comme l’or et tous les autres métaux ; et dans les mines en grain les différences qu’on y trouve ne viennent pas de la matière qui compose le grain, mais de celles qui se trouvent mêlées avec les grains et que l’on n’en sépare pas avant de les faire fondre. La seule différence que j’aie observée entre les grains des différentes mines que j’ai fait trier un à un pour faire mes essais, c’est que les plus petits sont ceux qui ont la plus grande pesanteur spécifique, et par conséquent ceux qui, sous le même volume, contiennent le plus de fer ; il y a communément une petite cavité au centre de chaque grain ; plus ils sont gros plus ce vide est grand ; il n’augmente pas comme le volume seulement, mais en bien plus grande proportion, en sorte que les plus gros grains sont à peu près comme les géodes ou pierres d’aigle, qui sont elles-mêmes de gros grains de mine de fer, dont la cavité intérieure est très grande : ainsi les mines en grains très menus sont ordinairement les plus riches ; j’en ai tiré jusqu’à quarante-neuf et cinquante par cent de fer en gueuse, et je suis persuadé que, si je les avais épurées en entier, j’aurais obtenu plus de soixante par cent ; car il y restait environ un cinquième de sable vitrescible aussi gros et à peu près aussi pesant que le grain, et que je n’avais pu séparer ; ce cinquième déduit sur cent, reste quatre-vingts, dont ayant tiré cinquante, on aurait par conséquent obtenu soixante-deux et demi. On demandera peut-être comment je pouvais m’assurer qu’il ne restait qu’un cinquième de matières hétérogènes dans la mine, et comment il faut faire en général pour reconnaître cette quantité : cela n’est point du tout difficile ; il suffit de peser exactement une demi-livre de la mine, la livrer ensuite à une petite personne attentive, once par once, et lui en faire trier tous les grains un à un ; ils sont toujours très reconnaissables par leur luisant métallique ; et lorsqu’on les a tous triés, on pèse les grains d’un côté et les sablons de l’autre pour reconnaître la proportion de leurs quantités.

Les métallurgistes qui ont parlé des mines de fer en roche disent qu’il y en a quelques-unes de si riches, qu’elles donnent soixante-dix et même soixante-quinze et davantage de fer en gueuse par cent : cela semble prouver que ces mines en roche sont en effet plus abondantes en fer que les mines en grain. Cependant j’ai quelque peine à le croire, et ayant consulté les Mémoires de feu M. Jars, qui a fait en Suède des observations exactes sur les mines, j’ai vu que, selon lui, les plus riches ne donnent que cinquante pour cent de fonte en gueuse. J’ai fait venir des échantillons de plusieurs mines de Suède, de celles des Pyrénées et de celles d’Allevard en Dauphiné, que M. le comte de Baral a bien voulu me procurer en m’envoyant la note ci-jointe[1], et les ayant comparées à la balance hydrostatique avec nos mines en grain, elles se sont à la vérité trouvées plus pesantes ; mais cette épreuve n’est pas concluante, à cause de la cavité qui se trouve dans chaque grain de nos

  1. « La terre d’Allevard est composée du bourg d’Allevard et de cinq paroisses, dans lesquelles il peut y avoir près de six mille personnes toutes occupées, soit à l’exploitation des mines, soit à convertir les bois en charbon et aux travaux des fourneaux, forges et martinets : la hauteur des montagnes est pleine de rameaux de mines de fer, et elles y sont si abondantes qu’elles fournissent des mines à toute la province de Dauphiné. Les qualités en sont si fines et si pures, qu’elles ont toujours été absolument nécessaires pour la fabrique royale de canons de Saint-Gervais, d’où l’on vient les chercher à grands frais ; ces mines sont toutes répandues dans le cœur des roches, où elles forment des rameaux, et dans lesquelles elles se renouvellent par une végétation continuelle.

    « Le fourneau est situé dans le centre des bois et des mines, c’est l’eau qui souffle le feu, et les courants d’eau sont immenses. Il n’y a par conséquent aucun soufflet, mais l’eau tombe dans des arbres creusés dans de grands tonneaux, y attire une quantité d’air immense qui va par un conduit souffler le fourneau ; l’eau, plus pesante, s’enfuit par d’autres conduits. »