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de tous ces avantages, ou du moins nous n’en avons pas profité jusqu’ici, puisque les étrangers nous apportent leurs fers qui leur coûtent tant de peines, et que nous les achetons de préférence aux nôtres, sur la réputation qu’ils ont d’être de meilleure qualité.

Ceci tient à une cinquième vérité, qui est plus morale que physique : c’est qu’il est plus aisé, plus sûr et plus profitable de faire, surtout en ce genre, de la mauvaise marchandise que de la bonne. Il est bien plus commode de suivre la routine qu’on trouve établie dans les forges que de chercher à en perfectionner l’art. Pourquoi vouloir faire du bon fer ? disent la plupart des maîtres de forges ; on ne le vendra pas une pistole au-dessus du fer commun, et il nous reviendra peut-être à trois ou quatre de plus, sans compter les risques et les frais des expériences et des essais, qui ne réussissent pas tous à beaucoup près. Malheureusement cela n’est que trop vrai : nous ne profiterons jamais de l’avantage naturel de nos mines, ni même de notre intelligence, qui vaut bien celle des étrangers, tant que le gouvernement ne donnera pas à cet objet plus d’attention, tant qu’on ne favorisera pas le petit nombre de manufactures où l’on fait du bon fer, et qu’on permettra l’entrée des fers étrangers. Il me semble que l’on peut démontrer avec la dernière évidence le tort que cela fait aux arts et à l’État ; mais je m’écarterais trop de mon sujet si j’entrais ici dans cette discussion.

Tout ce que je puis assurer comme une sixième vérité, c’est qu’avec toutes sortes de mines on peut toujours obtenir du fer de même qualité : j’ai fait brûler et fondre successivement dans mon plus grand fourneau, qui a 23 pieds de hauteur, sept espèces de mines différentes, tirées à deux, trois et quatre lieues de distance les unes des autres, dans des terrains tous différents, les unes en grains plus gros que des pois, les autres en grains gros comme des chevrotines, plomb à lièvre, et les autres plus menues que le plus petit plomb à tirer ; et de ces sept différentes espèces de mine, dont j’ai fait fondre plusieurs centaines de milliers, j’ai toujours eu le même fer : ce fer est bien connu, non seulement dans la province de Bourgogne où sont situées mes forges, mais même à Paris, où s’en fait le principal débit, et il est regardé comme de très bonne qualité. On serait donc fondé à croire que j’ai toujours employé la même mine, qui, toujours traitée de la même façon, m’aurait constamment donné le même produit, tandis que, dans le vrai, j’ai usé de toutes les mines que j’ai pu découvrir, et que ce n’est qu’en vertu des précautions et des soins que j’ai pris de les traiter différemment que je suis parvenu à en tirer un résultat semblable, et un produit de même qualité. Voici les observations et les expériences que j’ai faites à ce sujet : elles seront utiles et même nécessaires à tous ceux qui voudront connaître la qualité des mines qu’ils emploient.

Nos mines de fer en grain ne se trouvent jamais pures dans le sein de la terre : toutes sont mélangées d’une certaine quantité de terre qui peut se délayer dans l’eau, et d’un sable plus ou moins fin, qui, dans de certaines mines, est de nature calcaire, dans d’autres de nature vitrifiable, et quelquefois mêlé l’une de l’autre ; je n’ai pas vu qu’il y eût aucun autre mélange dans les sept espèces de mines que j’ai traitées et fondues avec un égal succès. Pour reconnaître la quantité de terre qui doit se délayer dans l’eau, et que l’on peut espérer de séparer de la mine au lavage, il faut en peser une petite quantité dans l’état même où elle sort de la terre, la faire ensuite sécher, et mettre en compte le poids de l’eau qui se sera dissipée par le dessèchement. On mettra cette terre séchée dans un vase que l’on remplira d’eau, et on la remuera : dès que l’eau sera jaune ou bourbeuse, on la versera dans un autre vase plat pour en faire évaporer l’eau par le moyen du feu ; après l’évaporation, on mettra à part le résidu terreux. On réitérera cette même manipulation jusqu’à ce que la mine ne colore plus l’eau qu’on verse dessus, ce qui n’arrive jamais qu’après un grand nombre de lotions. Alors on réunit ensemble tous ces résidus terreux, et on les pèse pour connaître leur quantité relative à celle de la mine.

Cette première partie du mélange de la mine étant connue et son poids constaté, il restera les