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Rien n’est plus mal fondé que cette opinion ; c’est au contraire uniquement de la conduite du feu et de la manipulation de la mine que dépend la bonne ou la mauvaise qualité de la fonte, du fer et de l’acier. Il faut encore bannir un autre préjugé, c’est qu’on ne peut avoir de l’acier qu’en le tirant du fer ; tandis qu’il est très possible, au contraire, d’en tirer immédiatement de toutes sortes de mines. On rejettera donc en conséquence les idées de M. Yonge et de quelques autres chimistes qui ont imaginé qu’il y avait des mines qui avaient la qualité particulière de pouvoir donner de l’acier à l’exclusion de toutes les autres.

Une troisième vérité que j’ai recueillie de mes expériences, c’est que toutes nos mines de fer en grain, telles que celles de Bourgogne, de Champagne, de Franche-Comté, de Lorraine, du Nivernais, de l’Angoumois, etc., c’est-à-dire presque toutes les mines dont on fait nos fers en France, ne contiennent point de soufre comme les mines en roche de Suède ou d’Allemagne, et que par conséquent elles n’ont pas besoin d’être grillées ni traitées de la même manière : le préjugé du soufre contenu en grande quantité dans les mines de fer nous est venu des métallurgistes du Nord, qui, ne connaissant que leurs mines en roche qu’on tire de la terre à de grandes profondeurs, comme nous tirons des pierres d’une carrière, ont imaginé que toutes les mines de fer étaient de la même nature et contenaient, comme elles, une grande quantité de soufre. Et comme les expériences sur les mines de fer sont très difficiles à faire, nos chimistes s’en sont rapportés aux métallurgistes du Nord, et ont écrit, comme eux, qu’il y avait beaucoup de soufre dans nos mines de fer, tandis que toutes les mines en grain que je viens de citer n’en contiennent point du tout, ou si peu qu’on n’en sent pas l’odeur de quelque façon qu’on les brûle. Les mines en roche ou en pierre, dont j’ai fait venir des échantillons de Suède et d’Allemagne, répandent au contraire une forte odeur de soufre lorsqu’on les fait griller, et en contiennent réellement une très grande quantité dont il faut les dépouiller avant de les mettre au fourneau pour les fondre.

Et de là suit une quatrième vérité tout aussi intéressante que les autres, c’est que nos mines en grain valent mieux que ces mines en roche tant vantées, et que si nous ne faisons pas du fer aussi bon ou meilleur que celui de Suède, c’est purement notre faute et point du tout celle de nos mines, qui toutes nous donneraient des fers de la première qualité si nous les traitions avec le même soin que prennent les étrangers pour arriver à ce but. Il nous est même plus aisé de l’atteindre, nos mines ne demandant pas, à beaucoup près, autant de travaux que les leurs. Voyez, dans Swedenborg, le détail de ces travaux : la seule extraction de la plupart de ces mines en roche qu’il faut aller arracher du sein de la terre à 3 ou 400 pieds de profondeur, casser à coups de marteaux, de masses et de leviers, enlever ensuite par des machines jusqu’à la hauteur de terre, doit coûter beaucoup plus que le tirage de nos mines en grain, qui se fait, pour ainsi dire, à fleur de terrain et sans autre instrument que la pioche et la pelle. Ce premier avantage n’est pas encore le plus grand, car il faut reprendre ces quartiers, ces morceaux de pierres de fer, les porter sous les maillets d’un bocard pour les concasser, les broyer et les réduire au même état de division où nos mines en grain se trouvent naturellement ; et comme cette mine concassée contient une grande quantité de soufre, elle ne produirait que de très mauvais fer si on ne prenait pas la précaution de lui enlever la plus grande partie de ce soufre surabondant avant de la jeter au fourneau. On la répand à cet effet sur des bûchers d’une vaste étendue où elle se grille pendant quelques semaines : cette consommation très considérable de bois, jointe à la difficulté de l’extraction de la mine, rendrait la chose impraticable en France à cause de la cherté des bois. Nos mines, heureusement, n’ont pas besoin d’être grillées, et il suffit de les laver pour les séparer de la terre avec laquelle elles sont mêlées ; la plupart se trouvent à quelques pieds de profondeur : l’exploitation de nos mines se fait donc à beaucoup moins de frais, et cependant nous ne profitons pas