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les ouvertures en lunette, se trouvait parallèle au courant d’eau qui fait mouvoir les roues des soufflets de mon grand fourneau et de mes affineries, en sorte que le grand entonnoir ou ventilateur dont j’ai parlé pouvait être posé de manière qu’il recevait sans cesse un air frais par le mouvement des roues ; il portait cet air au fourneau auquel il aboutissait par sa pointe, qui était une buse ou tuyau de fer de forme conique, et de 1 pouce 1/2 de diamètre à son extrémité. Je fis faire en même temps deux tuyaux d’aspiration, l’un de 10 pieds de longueur sur 14 pouces de largeur pour le plus grand de mes petits fourneaux, et l’autre de 7 pieds de longueur et de 11 pouces de côté pour le plus petit. Je fis ces tuyaux d’aspiration carrés, parce que les ouvertures du dessus des fourneaux étaient carrées, et que c’était sur ces ouvertures qu’il fallait les poser ; et quoique ces tuyaux fussent faits d’une tôle assez légère, sur un châssis de fer mince, ils ne laissaient pas d’être pesants, et même embarrassants par leur volume, surtout quand ils étaient fort échauffés : quatre hommes avaient assez de peine pour les déplacer et les replacer, ce qui cependant était nécessaire toutes les fois qu’il fallait charger les fourneaux.

J’y ai fait dix-sept expériences, dont chacune durait ordinairement deux ou trois jours et deux ou trois nuits. Je n’en donnerai pas le détail, non seulement parce qu’il serait fort ennuyeux, mais même assez inutile, attendu que je n’ai pu parvenir à une méthode fixe, tant pour conduire le feu que pour le forcer à donner toujours le même produit. Je dois donc me borner aux simples résultats de ces expériences, qui m’ont démontré plusieurs vérités que je crois très utiles.

La première, c’est qu’on peut faire de l’acier de la meilleure qualité sans employer du fer comme on le fait communément, mais seulement en faisant fondre la mine à un feu long et gradué. De mes dix-sept expériences il y en a eu six où j’ai eu de l’acier bon et médiocre, sept où je n’ai eu que du fer, tantôt très bon et tantôt mauvais, et quatre où j’ai eu une petite quantité de fonte et du fer environné d’excellent acier. On ne manquera pas de me dire : Donnez-nous donc au moins le détail de celles qui vous ont produit du bon acier. Ma réponse est aussi simple que vraie, c’est qu’en suivant les mêmes procédés aussi exactement qu’il m’était possible, en chargeant de la même façon, mettant la même quantité de mine et de charbon, ôtant et mettant le ventilateur et les tuyaux d’aspiration pendant un temps égal, je n’en ai pas moins eu des résultats tout différents. La seconde expérience me donna de l’acier par les mêmes procédés que la première, qui ne m’avait produit que du fer d’une qualité assez médiocre : la troisième, par les mêmes procédés, m’a donné de très bon fer ; et quand après cela j’ai voulu varier la suite des procédés et changer quelque chose à mes fourneaux, le produit en a peut-être moins varié par ces grands changements qu’il n’avait fait par le seul caprice du feu, dont les effets et la conduite sont si difficiles à suivre qu’on ne peut les saisir ni même les deviner qu’après une infinité d’épreuves et de tentatives qui ne sont pas toujours heureuses. Je dois donc me borner à dire ce que j’ai fait, sans anticiper sur ce que des artistes plus habiles pourront faire ; car il est certain qu’on parviendra à une méthode sûre de tirer de l’acier de toute mine de fer sans la faire couler en gueuses et sans convertir la fonte en fer.

C’est ici la seconde vérité, aussi utile que la première. J’ai employé trois différentes sortes de mines dans ces expériences ; j’ai cherché, avant de les employer, le moyen d’en bien connaître la nature. Ces trois espèces de mines étaient, à la vérité, toutes les trois en grains plus ou moins fins ; je n’étais pas à portée d’en avoir d’autres, c’est-à-dire des mines en roche, en assez grande quantité pour faire mes expériences ; mais je suis bien convaincu, après avoir fait les épreuves de mes trois différentes mines en grain, et qui toutes trois m’ont donné de l’acier sans fusion précédente, que les mines en roche, et toutes les mines de fer en général, pourraient donner également de l’acier en les traitant comme j’ai traité les mines en grain. Dès lors il faut donc bannir de nos idées le préjugé si anciennement, si universellement reçu, que la qualité du fer dépend de celle de la mine.