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Après avoir examiné ces loupes, qui me parurent être d’une très bonne étoffe, et dont la plupart portaient à leur circonférence un grain fin et tout semblable à celui de l’acier, je les fis mettre au feu de l’affinerie et porter sous le marteau : elles en soutinrent le coup sans se diviser, sans s’éparpiller en étincelles, sans donner une grande flamme, sans laisser couler beaucoup de laitier, choses qui toutes arrivent lorsqu’on forge du mauvais fer. On les forgea à la manière ordinaire : les barres qui en provenaient n’étaient pas toutes de la même qualité ; les unes étaient de fer, les autres d’acier, et le plus grand nombre de fer par un bout ou par un côté, et d’acier par l’autre. J’en ai fait faire des poinçons et des ciseaux par des ouvriers, qui trouvèrent cet acier aussi bon que celui d’Allemagne. Les barres qui n’étaient que de fer étaient si fermes, qu’il fut impossible de les rompre avec la masse, et qu’il fallut employer le ciseau d’acier pour les entamer profondément des deux côtés avant de pouvoir les rompre ; ce fer était tout nerf, et ne pouvait se séparer qu’en se déchirant par le plus grand effort. En le comparant au fer que donne cette même mine fondue en gueuses à la manière ordinaire, on ne pouvait se persuader qu’il provenait de la même mine, dont on n’avait jamais tiré que du fer à gros grain, sans nerf et très cassant.

La quantité de mine que j’avais employée dans cette expérience aurait dû produire au moins 1 200 livres de fonte, c’est-à-dire environ 800 livres de fer, si elle eût été fondue par la méthode ordinaire, et je n’avais obtenu que 280 livres, tant d’acier que de fer, de toutes les loupes que j’avais réunies ; et en supposant un déchet de moitié du mauvais fer au bon, et de trois quarts du mauvais fer à l’acier, je voyais que ce produit ne pouvait équivaloir qu’à 500 livres de mauvais fer, et que par conséquent il y avait eu plus du quart de mes quatre milliers de mine qui s’était consumé en pure perte, et en même temps près du tiers du charbon brûlé sans produit.

Ces expériences étant donc excessivement chères, et voulant néanmoins les suivre, je pris le parti de faire construire deux fourneaux plus petits, tous deux cependant de 14 pieds de hauteur, mais dont la capacité intérieure du second était d’un tiers plus petite que celle du premier. Il fallait, pour charger et remplir en entier mon grand fourneau de fusion, cent trente-cinq corbeilles de charbon de 40 livres chacune, c’est-à-dire 5 400 livres de charbon, au lieu que dans mes petits fourneaux il ne fallait que 900 livres de charbon pour remplir le premier, et 600 livres pour remplir le second, ce qui diminuait considérablement les trop grands frais de ces expériences. Je fis adosser ces fourneaux l’un à l’autre, afin qu’ils pussent profiter de leur chaleur mutuelle : ils étaient séparés par un mur de 3 pieds, et environnés d’un autre mur de 4 pieds d’épaisseur, le tout bâti en bon moellon et de la même pierre calcaire dont on se sert dans le pays pour faire les étalages des grands fourneaux. La forme de la cavité de ces petits fourneaux était pyramidale sur une base carrée, s’élevant d’abord perpendiculairement à 3 pieds de hauteur, et ensuite s’inclinant en dedans sur le reste de leur élévation, qui était de 11 pieds : de sorte que l’ouverture supérieure se trouvait réduite à 14 pouces au plus grand fourneau, et 11 pouces au plus petit. Je ne laissai dans le bas qu’une seule ouverture à chacun de mes fourneaux ; elle était surbaissée en forme de voûte ou de lunette, dont le sommet ne s’élevait qu’à 2 pieds 1/2 dans la partie intérieure, et à 4 pieds en dehors ; je faisais remplir cette ouverture par un petit mur de briques, dans lequel on laissait un trou de quelques pouces en bas pour écouler le laitier, et un autre trou à 1 pied 1/2 de hauteur pour pomper l’air : je ne donne point ici la figure de ces fourneaux, parce qu’ils n’ont pas assez bien réussi pour que je prétende les donner pour modèles, et que d’ailleurs j’y ai fait et j’y fais encore des changements essentiels à mesure que l’expérience m’apprend quelque chose de nouveau. D’ailleurs, ce que je viens de dire suffit pour en donner une idée, et aussi pour l’intelligence de ce qui suit.

Ces fourneaux étaient placés de manière que leur face antérieure, dans laquelle étaient