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culaires, toujours épais de plusieurs pieds, et quelquefois de quelques toises : on les travaille comme on travaillerait de la pierre très dure dans une carrière. On y trouve souvent de l’asbeste, ce qui prouve encore que ces mines ont été formées par le feu.

Les mines de la seconde espèce ont, au contraire, été formées par l’eau, tant du détriment des premières que de toutes les particules de fer que les végétaux et les animaux rendent à la terre par la décomposition de leur substance : ces mines, formées par l’eau, sont le plus ordinairement en grains arrondis, plus ou moins gros, mais dont aucun n’est attirable par l’aimant avant d’avoir subi l’action du feu, ou plutôt celle de l’air par le moyen du feu ; car ayant fait griller plusieurs de ces mines dans des vaisseaux ouverts, elles sont toutes devenues très attirables à l’aimant, au lieu que dans les vaisseaux clos, quoique chauffées à un plus grand feu et pendant plus de temps, elles n’avaient point du tout acquis la vertu magnétique.

On pourrait ajouter à ces mines en grains, formées par l’eau, une seconde espèce de mine souvent plus pure, mais bien plus rare, qui se forme également par le moyen de l’eau : ce sont les mines de fer cristallisées. Mais comme je n’ai pas été à portée de traiter par moi-même les mines de fer en roche, produites par le feu, non plus que les mines de fer cristallisées par l’eau, je ne parlerai que de la fusion des mines en grains, d’autant que ces dernières mines sont celles qu’on exploite le plus communément dans nos forges de France.

La première chose que j’ai trouvée, et qui me paraît être une découverte utile, c’est qu’avec une mine qui donnait le plus mauvais fer de la province de Bourgogne, j’ai fait du fer aussi ductile, aussi nerveux, aussi ferme que les fers du Berri, qui sont réputés les meilleurs de France. Voici comment j’y suis parvenu : le chemin que j’ai tenu est bien plus long, mais personne avant moi n’avant frayé la route, on ne sera pas étonné que j’aie fait du circuit.

J’ai pris le dernier jour d’un fondage, c’est-à-dire le jour où l’on allait faire cesser le feu d’un fourneau à fondre la mine de fer, qui durait depuis plus de quatre mois. Ce fourneau, d’environ 20 pieds de hauteur et de 5 pieds 1/2 de largeur à sa cuve, était bien échauffé, et n’avait été chargé que de cette mine qui avait la fausse réputation de ne pouvoir donner que des fontes très blanches, très cassantes, et par conséquent du fer à très gros grain, sans nerf et sans ductilité. Comme j’étais dans l’idée que la trop grande violence du feu ne peut qu’aigrir le fer, j’employai ma méthode ordinaire, et que j’ai suivie constamment dans toutes mes recherches sur la nature, qui consiste à voir les extrêmes avant de considérer les milieux : je fis donc, non pas ralentir, mais enlever les soufflets, et ayant fait en même temps découvrir le toit de la halle, je substituai aux soufflets un ventilateur simple, qui n’était qu’un cône creux, de 24 pieds de longueur, sur 4 pieds de diamètre au gros bout, et 3 pouces seulement à sa pointe, sur laquelle on adapta une buse de fer, et qu’on plaça dans le trou de la tuyère ; en même temps on continuait à charger de charbon et de mine, comme si l’on eût voulu continuer à couler ; les charges descendaient bien plus lentement, parce que le feu n’était plus animé par le vent des soufflets ; il l’était seulement par un courant d’air que le ventilateur tirait d’en haut, et qui, étant plus frais et plus dense que celui du voisinage de la tuyère, arrivait avec assez de vitesse pour produire un murmure constant dans l’intérieur du fourneau. Lorsque j’eus fait charger environ deux milliers de charbon, et quatre milliers de mine, je fis discontinuer pour ne pas trop embarrasser le fourneau, et, le ventilateur étant toujours à la tuyère, je laissai baisser les charbons et la mine sans remplir le vide qu’ils laissaient au-dessus. Au bout de quinze ou seize heures, il se forma de petites loupes, dont on tira quelques-unes par le trou de la tuyère, et quelques autres par l’ouverture de la coulée : le feu dura quatre jours de plus, avant que le charbon ne fût entièrement consumé, et dans cet intervalle de temps on tira des loupes plus grosses que les premières ; et, après les quatre jours, on en trouva de plus grosses encore en vidant le fourneau.