Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 2.pdf/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

2o Que la quantité de feu nécessaire pour rougir une masse quelconque, et lui donner sa couleur et sa chaleur, pèse 1/570, ou, si l’on veut, une six centième partie de cette masse ; en sorte que, si elle pèse froide 600 livres, elle pèsera chaude 601 livres, lorsqu’elle sera rouge couleur de feu ;

3o Que dans les matières qui, comme le fer, sont susceptibles d’un plus grand degré de feu, et peuvent être chauffées à blanc sans se fondre, la quantité de feu dont elles sont alors pénétrées est environ d’un sixième plus grande ; en sorte que, sur 500 livres de fer, il se trouve 1 livre de feu : nous avons même trouvé plus par les expériences précédentes, puisque leur résultat commun donne 1/425 ; mais il faut observer que le fer, ainsi que toutes les substances métalliques, se consume un peu en se refroidissant, et qu’il diminue toutes les fois qu’on y applique le feu. Cette différence entre 1/500 et 1/425 provient donc de cette diminution : le fer, qui perd une quantité très sensible dans le feu, continue à perdre un peu tant qu’il en est pénétré, et par conséquent sa masse totale se trouve plus diminuée que celle du verre, que le feu ne peut consumer, ni brûler, ni volatiliser.

Je viens de dire qu’il en est de toutes les substances métalliques comme du fer, c’est-à-dire que toutes perdent quelque chose par la longue ou la violente action du feu[NdÉ 1] ; et je puis le prouver par des expériences incontestables sur l’or et sur l’argent, qui, de tous les métaux, sont les plus fixes et les moins sujets à être altérés par le feu. J’ai exposé au foyer du miroir ardent des plaques d’argent pur et des morceaux d’or aussi pur ; je les ai vus fumer abondamment et pendant un très long temps : il n’est donc pas douteux que ces métaux ne perdent quelque chose de leur substance par l’application du feu, et j’ai été informé depuis que cette matière qui s’échappe de ces métaux et s’élève en fumée n’est autre chose que le métal même volatilisé, puisqu’on peut dorer ou argenter à cette fumée métallique les corps qui la reçoivent.

Le feu, surtout appliqué longtemps, volatilise donc peu à peu ces métaux, qu’il semble ne pouvoir ni brûler, ni détruire d’aucune autre manière, et, en les volatilisant, il n’en change pas la nature, puisque cette fumée qui s’en échappe est encore du métal qui conserve toutes ses propriétés. Or, il ne faut pas un feu bien violent pour produire cette fumée métallique : elle paraît à un degré de chaleur au-dessous de celui qui est nécessaire pour la fusion de ces métaux. C’est de cette même manière que l’or et l’argent se sont sublimés dans le sein de la terre ; ils ont d’abord été fondus par la chaleur excessive du premier état du globe, où tout était en liquéfaction, et ensuite la chaleur moins forte, mais constante, de l’intérieur de la terre les a volatilisés, et a poussé ces fumées métalliques jusqu’au sommet des plus hautes montagnes, où elles se sont accumulées en grains ou attachées en vapeurs aux sables et aux autres matières dans lesquelles on les trouve aujourd’hui. Les paillettes d’or, que l’eau roule avec les sables, tirent leur origine, soit des masses d’or fondues par le feu primitif, soit des surfaces dorées par cette sublimation, desquelles l’action de l’air et de l’eau les détachent et les séparent.

Mais revenons à l’objet immédiat de nos expériences. Il me paraît qu’elles ne laissent aucun doute sur la pesanteur réelle du feu, et qu’on peut assurer, en conséquence de leurs résultats, que toute matière solide, pénétrée de cet élément autant qu’elle peut l’être par l’application que nous savons en faire, est au moins d’une six centième partie plus pesante que dans l’état de la température actuelle, et qu’il faut 1 livre de matière ignée pour donner à 600 livres de toute autre matière l’état d’incandescence jusqu’au rouge couleur

  1. L’action seule de la chaleur, du « feu » comme dit Buffon, est incapable d’augmenter ou de diminuer le poids d’une substance ; pour que le poids de cette dernière soit altéré, il faut qu’il y ait, en même temps, combinaison ou décomposition. Si, par exemple, sous l’action du feu, le fer s’oxyde, c’est-à-dire se combine avec de l’oxygène, il augmente forcément de poids. Si, au contraire, il diminue de poids, c’est parce qu’il perd une partie de l’oxyde qui s’est formé.