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pense que ce que je viens de dire est suffisant pour que les bons esprits l’entendent et en soient satisfaits.

Je crois devoir citer ici quelques faits observés par M. l’abbé Millot, ancien grand-vicaire de Lyon, qui a eu la bonté de me les communiquer par ses lettres des 18 août 1754 et 10 février 1755, dont voici l’extrait : « Ce n’est pas seulement au lever et au coucher du soleil que les ombres se colorent. À midi, le ciel étant couvert de nuages, excepté en quelques endroits, vis-à-vis d’une de ces ouvertures que laissaient entre eux les nuages, j’ai fait tomber des ombres d’un fort beau bleu sur du papier blanc, à quelques pas d’une fenêtre. Les nuages s’étant joints, le bleu disparut. J’ajouterai en passant que plus d’une fois j’ai vu l’azur du ciel se peindre, comme dans un miroir, sur une muraille où la lumière tombait obliquement. Mais voici d’autres observations plus importantes à mon avis : avant que d’en faire le détail, je suis obligé de tracer la topographie de ma chambre ; elle est à un troisième étage ; la fenêtre près d’un angle au couchant, la porte presque vis-à-vis. Cette porte donne dans une galerie, au bout de laquelle, à deux pas de distance, est une fenêtre située au midi. Les jours des deux fenêtres se réunissent, la porte étant ouverte, contre une des murailles ; et c’est là que j’ai vu des ombres colorées presque à toute heure, mais principalement sur les dix heures du matin. Les rayons du soleil, que la fenêtre de la galerie reçoit encore obliquement, ne tombent point par celle de la chambre sur la muraille dont je viens de parler. Je place à quelques pouces de cette muraille des chaises de bois à dossier percé. Les ombres en sont alors de couleurs quelquefois très vives. J’en ai vu qui, quoique projetées du même côté, étaient l’une d’un vert foncé, l’autre d’un bel azur. Quand la lumière est tellement ménagée que les ombres soient également sensibles de part et d’autre, celle qui est opposée à la fenêtre de la chambre est ou bleue ou violette ; l’autre tantôt verte, tantôt jaunâtre. Celle-ci est accompagnée d’une espèce de pénombre bien colorée, qui forme comme une double bordure bleue d’un côté, et de l’autre verte ou rouge ou jaune, selon l’intensité de la lumière. Que je ferme les volets de ma fenêtre, les couleurs de cette pénombre n’en ont souvent que plus d’éclat ; elles disparaissent si je ferme la porte à moitié. Je dois ajouter que le phénomène n’est pas, à beaucoup près, si sensible en hiver. Ma fenêtre est au couchant d’été : je fis mes premières expériences dans cette saison, dans un temps où les rayons du soleil tombaient obliquement sur la muraille qui fait angle avec celle où les ombres se coloraient. »

On voit, par ces observations de M. l’abbé Millot, qu’il suffit que la lumière du soleil tombe très obliquement sur une surface pour que l’azur du ciel, dont la lumière tombe toujours directement, s’y peigne et colore les ombres. Mais les autres apparences dont il fait mention ne dépendent que de la position des lieux et d’autres circonstances accessoires.




HUITIÈME MÉMOIRE

EXPÉRIENCES SUR LA PESANTEUR DU FEU ET SUR LA DURÉE DE L’INCANDESCENCE.

Je crois devoir rappeler ici quelques-unes des choses que j’ai dites dans l’introduction qui précède ces Mémoires, afin que ceux qui ne les auraient pas bien présentes puissent néanmoins entendre ce qui fait l’objet de celui-ci. Le feu ne peut guère exister sans lumière et jamais sans chaleur, tandis que la lumière existe souvent sans chaleur sensible, comme