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diminué, et actuellement je n’en suis plus incommodé. Ce qui m’a convaincu que ces points noirs viennent de la trop forte impression de la lumière, c’est qu’après avoir regardé le soleil, j’ai toujours vu une image colorée que je portais plus ou moins longtemps sur tous les objets ; et, suivant avec attention les différentes nuances de cette image colorée, j’ai reconnu qu’elle se décolorait peu à peu, et qu’à la fin je ne portais plus sur les objets qu’une tache noire, d’abord assez grande, qui diminuait ensuite peu à peu, et se réduisait enfin à un point noir.

Je vais rapporter à cette occasion un fait qui est assez remarquable, c’est que je n’étais jamais plus incommodé de ces points noirs que quand le ciel était couvert de nuées blanches : ce jour me fatiguait beaucoup plus que la lumière d’un ciel serein, et cela parce qu’en effet la quantité de lumière réfléchie par un ciel couvert de nuées blanches est beaucoup plus grande que la quantité de lumière réfléchie par l’air pur, et qu’à l’exception des objets éclairés immédiatement par les rayons du soleil, tous les autres objets qui sont dans l’ombre sont beaucoup moins éclairés que ceux qui le sont par la lumière réfléchie d’un ciel couvert de nuées blanches.

Avant que de terminer ce Mémoire, je crois devoir encore annoncer un fait qui paraîtra peut-être extraordinaire, mais qui n’en est pas moins certain, et que je suis fort étonné qu’on n’ait pas observé ; c’est que les ombres des corps qui par leur essence doivent être noires, puisqu’elles ne sont que la privation de la lumière, que les ombres, dis-je, sont toujours colorées au lever et au coucher du soleil. J’ai observé, pendant l’été 1743, plus de trente aurores et autant de soleils couchants : toutes les ombres qui tombaient sur du blanc, comme sur une muraille blanche, étaient quelquefois vertes, mais le plus souvent bleues, et d’un bleu aussi vif que le plus bel azur. J’ai fait voir ce phénomène à plusieurs personnes qui ont été aussi surprises que moi : la saison n’y fait rien, car il n’y a pas huit jours (15 novembre 1743) que j’ai vu des ombres bleues, et quiconque voudra se donner la peine de regarder l’ombre de l’un de ses doigts au lever ou au coucher du soleil, sur un morceau de papier blanc, verra comme moi cette ombre bleue. Je ne sache pas qu’aucun astronome, qu’aucun physicien, que personne, en un mot, ait parlé de ce phénomène, et j’ai cru qu’en faveur de la nouveauté on me permettrait de donner le précis de cette observation.

Au mois de juillet 1743, comme j’étais occupé de mes couleurs accidentelles, et que je cherchais à voir le soleil, dont l’œil soutient mieux la lumière à son coucher qu’à toute autre heure du jour, pour reconnaître ensuite les couleurs et les changements de couleurs causés par cette impression, je remarquai que les ombres des arbres qui tombaient sur une muraille blanche étaient vertes ; j’étais dans un lieu élevé et le soleil se couchait dans une gorge de montagnes, en sorte qu’il me paraissait fort abaissé au-dessous de mon horizon ; le ciel était serein, à l’exception du couchant, qui, quoique exempt de nuages, était chargé d’un rideau transparent de vapeurs d’un jaune rougeâtre, le soleil lui-même était fort rouge, et sa grandeur apparente au moins quadruple de ce qu’elle est à midi ; je vis donc très distinctement les ombres des arbres qui étaient à 20 et 30 pieds de la muraille blanche, colorés d’un vert tendre tirant un peu sur le bleu ; l’ombre d’un treillage qui était à 3 pieds de la muraille, était parfaitement dessinée sur cette muraille, comme si on l’avait nouvellement peinte en vert-de-gris : cette apparence dura près de cinq minutes, après quoi la couleur s’affaiblit avec la lumière du soleil, et ne disparut entièrement qu’avec les ombres. Le lendemain, au lever du soleil, j’allai regarder d’autres ombres sur une muraille blanche, mais au lieu de les trouver vertes, comme je m’y attendais, je les trouvai bleues ou plutôt de la couleur de l’indigo le plus vif ; le ciel était serein, et il n’y avait qu’un petit rideau de vapeurs jaunâtres au levant, le soleil se levait sur une colline, en sorte qu’il me paraissait élevé au-dessus de mon horizon : les ombres bleues ne durèrent que trois minutes, après quoi elles me parurent noires ; le même jour je revis au coucher du