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naître autour de la tache verte une couleur blanchâtre, qui est à peine colorée d’une petite teinte de pourpre ; mais, en cessant de regarder la tache verte et en portant l’œil sur un autre endroit du fond blanc, on voit distinctement une tache d’un pourpre pâle, semblable à la couleur d’une améthyste pâle : cette apparence est plus faible et ne dure pas, à beaucoup près, aussi longtemps que les couleurs bleues et vertes produites par le jaune et par le rouge.

De même en regardant fixement et longtemps une tache bleue sur un fond blanc, on voit naître autour de la tache bleue une couronne blanchâtre un peu teinte de rouge, et en cessant de regarder la tache bleue et portant l’œil sur le fond blanc, on voit une tache d’un rouge pâle, toujours de la même figure et de la même grandeur que la tache bleue, et cette apparence ne dure pas plus longtemps que l’apparence pourpre produite par la tache verte.

En regardant de même avec attention une tache noire sur un fond blanc, on voit naître autour de la tache noire une couronne d’un blanc vif ; et cessant de regarder la tache noire et portant l’œil sur un autre endroit du fond blanc, on voit la figure de la tache exactement dessinée et d’un blanc beaucoup plus vif que celui du fond : ce blanc n’est pas mat, c’est un blanc brillant semblable au blanc du premier ordre des anneaux colorés décrits par Newton ; et au contraire, si on regarde longtemps une tache blanche sur un fond noir, on voit la tache blanche se décolorer, et en portant l’œil sur un autre endroit du fond noir, on y voit une tache d’un noir plus vif que celui du fond.

Voilà donc une suite de couleurs accidentelles qui a des rapports avec la suite des couleurs naturelles : le rouge naturel produit le vert accidentel, le jaune produit le bleu, le vert produit le pourpre, le bleu produit le rouge, le noir produit le blanc, et le blanc produit le noir. Ces couleurs accidentelles n’existent que dans l’organe fatigué, puisqu’un autre œil ne les aperçoit pas : elles ont même une apparence qui les distingue des couleurs naturelles, c’est qu’elles sont tendres, brillantes, et qu’elles paraissent être à différentes distances, selon qu’on les rapporte à des objets voisins ou éloignés.

Toutes ces expériences ont été faites sur des couleurs mates avec des morceaux de papier ou d’étoffes colorées ; mais elles réussissent encore mieux, lorsqu’on les fait sur des couleurs brillantes, comme avec de l’or brillant et poli, au lieu de papier ou d’étoffe jaune ; avec de l’argent brillant, au lieu de papier blanc ; avec du lapis, au lieu de papier bleu, etc. : l’impression de ces couleurs brillantes est plus vive et dure beaucoup plus longtemps.

Tout le monde sait qu’après avoir regardé le soleil, on porte quelquefois pendant longtemps l’image colorée de cet astre sur tous les objets ; la lumière trop vive du soleil produit en un instant ce que la lumière ordinaire des corps ne produit qu’au bout d’une minute ou deux d’application fixe de l’œil sur les couleurs. Ces images colorées du soleil, que l’œil ébloui et trop fortement ébranlé porte partout, sont des couleurs du même genre que celles que nous venons de décrire, et l’explication de leurs apparences dépend de la même théorie.

Je n’entreprendrai pas de donner ici les idées qui me sont venues sur ce sujet : quelque assuré que je sois de mes expériences, je ne suis pas assez certain des conséquences qu’on en doit tirer, pour oser rien hasarder encore sur la théorie de ces couleurs, et je me contenterai de rapporter d’autres observations qui confirment les expériences précédentes, et qui serviront sans doute à éclairer cette matière.

En regardant fixement et fort longtemps un carré d’un rouge vif sur un fond blanc, on voit d’abord naître la petite couronne de vert tendre dont j’ai parlé ; ensuite, en continuant à regarder fixement le carré rouge, on voit le milieu du carré se décolorer, et les côtés se charger de couleur et former comme un cadre d’un rouge plus fort et beaucoup plus foncé que