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couleurs dont l’ordre et les principales apparences sont fort différentes des phénomènes du spectre ou de la frange colorée : aussi ce n’est pas par la réfraction que ces couleurs sont produites, c’est par la réflexion. Les plaques minces des corps transparents, les bulles de savon, les plumes des oiseaux, etc., paraissent colorées parce qu’elles réfléchissent certains rayons et laissent passer ou absorbent les autres ; ces couleurs ont leurs lois et dépendent de l’épaisseur de la plaque mince : une certaine épaisseur produit constamment une certaine couleur ; toute autre épaisseur ne peut la produire, mais en produit une autre ; et lorsque cette épaisseur est diminuée à l’infini, en sorte qu’au lieu d’une plaque mince et transparente on n’a plus qu’une surface polie sur un corps opaque, ce poli, qu’on peut regarder comme le premier degré de la transparence, produit aussi des couleurs par la réflexion, qui ont encore d’autres lois ; car lorsqu’on laisse tomber un trait de lumière sur un miroir de métal, ce trait de lumière ne se réfléchit pas tout entier sous le même angle, il s’en disperse une partie qui produit des couleurs dont les phénomènes, aussi bien que ceux des plaques minces, n’ont pas encore été assez observés.

Toutes les couleurs dont je viens de parler sont naturelles et dépendent uniquement des propriétés de la lumière ; mais il en est d’autres qui me paraissent accidentelles et qui dépendent autant de notre organe que de l’action de la lumière. Lorsque l’œil est frappé ou pressé, on voit des couleurs dons l’obscurité ; lorsque cet organe est mal disposé ou fatigué, on voit encore des couleurs : c’est ce genre de couleurs que j’ai cru devoir appeler couleurs accidentelles, pour les distinguer des couleurs naturelles, et parce qu’en effet elles ne paraissent jamais que lorsque l’organe est forcé ou qu’il a été trop fortement ébranlé.

Personne n’a fait, avant le Dr Jurin[1], la moindre observation sur ce genre de couleurs ; cependant elles tiennent aux couleurs naturelles par plusieurs rapports, et j’ai découvert une suite de phénomènes singuliers sur cette matière, que je vais rapporter le plus succinctement qu’il me sera possible.

Lorsqu’on regarde fixement et longtemps une tache ou une figure rouge sur un fond blanc, comme un petit carré de papier rouge sur un papier blanc, on voit naître autour du petit carré rouge une espèce de couronne d’un vert faible : en cessant de regarder le carré rouge, si on porte l’œil sur le papier blanc, on voit très distinctement un carré d’un vert tendre, tirant un peu sur le bleu ; cette apparence subsiste plus ou moins longtemps, selon que l’impression de la couleur rouge a été plus ou moins forte. La grandeur du carré vert imaginaire est la même que celle du carré réel rouge, et ce vert ne s’évanouit qu’après que l’œil s’est rassuré et s’est porté successivement sur plusieurs autres objets dont les images détruisent l’impression trop forte causée par le rouge.

En regardant fixement et longtemps une tache jaune sur un fond blanc, on voit naître autour de la tache une couronne d’un bleu pâle, et en cessant de regarder la tache jaune et portant son œil sur un autre endroit du fond blanc, on voit distinctement une tache bleue de la même figure et de la même grandeur que la tache jaune, et cette apparence dure au moins aussi longtemps que l’apparence du vert produit par le rouge. Il m’a même paru, après avoir fait moi-même, et après avoir fait répéter cette expérience à d’autres dont les yeux étaient meilleurs et plus forts que les miens, que cette impression du jaune était plus forte que celle du rouge, et que la couleur bleue qu’elle produit s’effaçait plus difficilement et subsistait plus longtemps que la couleur verte produite par le rouge : ce qui semble prouver ce qu’a soupçonné Newton, que le jaune est de toutes les couleurs celle qui fatigue le plus nos yeux.

Si l’on regarde fixement et longtemps une tache verte sur un fond blanc, on voit

  1. Essai upon distinct and indistinct vision, p. 115 des notes sur l’Optique de Smith, t. II, imprimé à Cambridge en 1739.