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Mais le plus puissant moyen que la nature emploie pour produire des couleurs, c’est la réflexion[1] : toutes les couleurs matérielles en dépendent ; le vermillon n’est rouge que parce qu’il réfléchit abondamment les rayons rouges de la lumière, et qu’il absorbe les autres ; l’outre-mer ne paraît bleu que parce qu’il réfléchit fortement les rayons bleus, et qu’il reçoit dans ses pores tous les autres rayons qui s’y perdent[NdÉ 1]. Il en est de même des autres couleurs des corps opaques et transparents ; la transparence dépend de l’uniformité de densité : lorsque les parties composantes d’un corps sont d’égale densité, de quelque figure que soient ces mêmes parties, le corps sera toujours transparent. Si l’on réduit un corps transparent à une fort petite épaisseur, cette plaque mince produira des

  1. J’avoue que je ne pense pas comme Newton, au sujet de la réflexibilité des différents rayons de la lumière. Sa définition de la réflexibilité n’est pas assez générale pour être satisfaisante : il est sûr que la plus grande facilité à être réfléchi est la même chose que la plus grande réflexibilité ; il faut que cette plus grande facilité soit générale pour tous les cas : or, qui sait si le rayon violet se réfléchit le plus aisément dans tous les cas, à cause que dans un tas particulier il rentre plutôt dans le verre que les autres rayons ; la réflexion de la lumière suit les mêmes lois que le rebondissement de tous les corps à ressort ; de là on doit conclure que les particules de lumière sont élastiques, et par conséquent la réflexibilité de la lumière sera toujours proportionnelle à son ressort, et dès lors les rayons les plus réflexibles seront ceux qui auront le plus de ressort, qualité difficile à mesurer dans la matière de la lumière, parce qu’on ne peut mesurer l’intensité d’un ressort que par la vitesse qu’il produit ; il faudrait donc, pour qu’il fût possible de faire une expérience sur cela, que les satellites de Jupiter fussent illuminés successivement par toutes les couleurs du prisme, pour reconnaître par leurs éclipses s’il y aurait plus ou moins de vitesse dans le mouvement de la lumière violette que dans le mouvement de la lumière rouge ; car ce n’est que par la comparaison de la vitesse de ces différents rayons qu’on peut savoir si l’un a plus de ressort que l’autre ou plus de réflexibilité. Mais on n’a jamais observé que les satellites, au moment de leur émersion, aient d’abord paru violets, et ensuite éclairés successivement de toutes les couleurs du prisme ; donc il est à présumer que les rayons de lumière ont à peu près tous un ressort égal, et par conséquent autant de réflexibilité. D’ailleurs le cas particulier où le violet paraît être plus réflexible ne vient que de la réfraction, et ne paraît pas tenir à la réflexion : cela est aisé à démontrer. Newton a fait voir, à n’en pouvoir douter, que les rayons différents sont inégalement réfrangibles, que le rouge l’est le moins et le violet le plus de tous ; il n’est donc pas étonnant qu’à une certaine obliquité le rayon violet se trouvant, en sortant du prisme, plus oblique à la surface que tous les autres rayons, il soit le premier saisi par l’attraction du verre et contraint d’y rentrer, tandis que les autres rayons, dont l’obliquité est moindre, continuent leur route sans être assez attirés pour être obligés de rentrer dans le verre : ceci n’est donc pas, comme le prétend Newton, une vraie réflexion, c’est seulement une suite de la réfraction. Il me semble qu’il ne devait donc pas assurer en général que les rayons les plus réfrangibles étaient les plus réflexibles. Cela ne me paraît vrai qu’en prenant cette suite de la réfraction pour une réflexion, ce qui n’en est pas une ; car il est évident qu’une lumière qui tombe sur un miroir et qui en rejaillit en formant un angle de réflexion égal à celui d’incidence est dans un cas bien différent de celui où elle se trouve au sortir d’un verre si oblique à la surface qu’elle est contrainte d’y rentrer : ces deux phénomènes n’ont rien de commun, et ne peuvent, à mon avis, s’expliquer par la même cause.
  1. Cela n’est pas tout à fait exact. Les corps qui nous paraissent rouges ne réfléchissent pas que les seuls rayons rouges ; ils réfléchissent encore en certaine quantité les autres rayons colorés, mais ils en absorbent la majeure partie, tandis qu’ils réfléchissent presque tous les rayons rouges. Notre œil reçoit donc de ces corps une quantité beaucoup plus considérable de rayons rouges que d’autres, ce qui fait que nous les voyons rouges. De même les corps bleus sont ceux qui renvoient à notre œil une grande quantité de rayons bleus, tandis qu’ils absorbent la majeure partie des autres rayons colorés.