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faite de la lumière et une représentation confuse des couleurs. Comme cette image est composée d’une infinité de cercles différemment colorés qui répondent à autant de disques du soleil, et que ces cercles anticipent beaucoup les uns sur les autres, le milieu de tous ces cercles est l’endroit où le mélange des couleurs est le plus grand, et il n’y a que les côtés rectilignes de l’image où les couleurs soient pures ; mais, comme elles sont en même temps très faibles, on a peine à les distinguer, et on se sert d’un autre moyen pour épurer les couleurs : c’est en rétrécissant l’image du disque du soleil, ce qui diminue l’anticipation des cercles colorés les uns sur les autres, et par conséquent le mélange des couleurs. Dans ce spectre de lumière épurée et homogène, on voit très bien les sept couleurs ; on en voit même beaucoup plus de sept avec un peu d’art, car, en recevant successivement sur un fil blanc les différentes parties de ce spectre de lumière épurée, j’ai compté souvent jusqu’à dix-huit ou vingt couleurs dont la différence était sensible à mes yeux. Avec de meilleurs organes ou plus d’attention, on pourrait encore en compter davantage : cela n’empêche pas qu’on ne doive fixer le nombre de leurs dénominations à sept, ni plus ni moins ; et cela par une raison bien fondée, c’est qu’en divisant le spectre de lumière épurée en sept intervalles, et suivant la proportion donnée par Newton, chacun de ces intervalles contient des couleurs qui, quoique prises toutes ensemble, sont indécomposables par le prisme et par quelque art que ce soit ; ce qui leur a fait donner le nom de couleurs primitives. Si, au lieu de diviser le spectre en sept, on ne le divise qu’en six, ou cinq, ou quatre, ou trois intervalles, alors les couleurs contenues dans chacun de ces intervalles se décomposent par le prisme, et par conséquent ces couleurs ne sont pas pures, et ne doivent pas être regardées comme couleurs primitives. On ne peut donc pas réduire les couleurs primitives à moins de sept dénominations, et on ne doit pas en admettre un plus grand nombre, parce qu’alors on diviserait inutilement les intervalles en deux ou plusieurs parties, dont les couleurs seraient de la même nature, et ce serait partager mal à propos une même espèce de couleur, et donner des noms différents à des choses semblables.

Il se trouve, par un hasard singulier, que l’étendue proportionnelle de ces sept intervalles de couleurs répond assez juste à l’étendue proportionnelle des sept tons de la musique, mais ce n’est qu’un hasard dont on ne doit tirer aucune conséquence : ces deux résultats sont indépendants l’un de l’autre, et il faut se livrer bien aveuglément à l’esprit de système pour prétendre, en vertu d’un rapport fortuit, soumettre l’œil et l’oreille à des lois communes, et traiter l’un de ces organes par les règles de l’autre, en imaginant qu’il est possible de faire un concert aux yeux ou un paysage aux oreilles.

Ces sept couleurs, produites par la réfraction, sont inaltérables et contiennent toutes les couleurs et toutes les nuances de couleurs qui sont au monde ; les couleurs du prisme, celles des diamants, celles de l’arc-en-ciel, des images des halos, dépendent toutes de la réfraction, et en suivent exactement les lois.

La réfraction n’est cependant pas le seul moyen pour produire des couleurs : la lumière a de plus que sa qualité réfrangible d’autres propriétés qui, quoique dépendantes de la même cause générale, produisent des effets différents. De la même façon que la lumière se rompt et se divise en couleurs en passant d’un milieu dans un autre milieu transparent, elle se rompt aussi en passant auprès des surfaces d’un corps opaque : cette espèce de réfraction, qui se fait dans le même milieu, s’appelle inflexion, et les couleurs qu’elle produit sont les mêmes que celles de la réfraction ordinaire ; les rayons violets, qui sont les plus réfrangibles, sont aussi les plus flexibles, et la frange colorée par l’inflexion de la lumière ne diffère du spectre coloré produit par la réfraction que dans la forme ; et, si l’intensité des couleurs est différente, l’ordre en est le même, les propriétés toutes semblables, le nombre égal, la qualité primitive et inaltérable commune à toutes, soit dans la réfraction, soit dans l’inflexion, qui n’est en effet qu’une espèce de réfraction.