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exemple, pour une loupe de 4 pieds de diamètre, à laquelle on donnerait un foyer de 5 ou 6 pieds, qui est la distance la plus commode, et à laquelle la lumière, plongeant avec moins d’obliquité, aura plus de force qu’à de plus grandes distances, il faudrait fondre une masse de verre de 4 pieds sur 6 pouces 1/2 ou 7 pouces d’épaisseur, parce qu’on est obligé de la travailler et de l’user même dans la partie la plus épaisse. Or, il serait très difficile de fondre et couler d’un seul jet ce gros volume, qui serait, comme l’on voit, de 5 ou 6 pieds cubes ; car les plus amples cuvettes des manufactures de glaces ne contiennent pas 2 pieds cubes ; les plus grandes glaces de 60 pouces sur 120, en leur supposant 5 lignes d’épaisseur, ne font qu’un volume d’environ 1 pied cube 3/4 : l’on sera donc forcé de se réduire à ce moindre volume, et à n’employer en effet que 1 pied cube 1/2, ou tout au plus 1 pied cube 3/4 de verre pour en former la loupe ; et encore aura-t-on bien de la peine à obtenir des maîtres de ces manufactures de faire couler du verre à cette grande épaisseur, parce qu’ils craignent, avec quelque raison, que la chaleur trop grande de cette masse épaisse de verre ne fasse fendre ou boursoufler la table de cuivre sur laquelle on coule les glaces, lesquelles, n’ayant au plus que 5 lignes d’épaisseur[1], ne communiquent à la table qu’une chaleur très médiocre en comparaison de celle que lui ferait subir une masse de 6 pouces d’épaisseur.


V. — Lentilles à échelons pour brûler avec la plus grande vivacité possible[2].

Je viens de dire que les fortes épaisseurs qu’on est obligé de donner aux lentilles, lorsqu’elles ont un grand diamètre et un foyer court, nuisent beaucoup à leur effet : une lentille de 6 pouces d’épaisseur dans le milieu et de la matière des glaces ordinaires ne brûle, pour ainsi dire, que par les bords. Avec du verre plus transparent, l’effet sera plus grand ; mais la partie du milieu reste toujours en pure perte, la lumière ne pouvant en pénétrer et traverser la trop grande épaisseur. J’ai rapporté les expériences que j’ai faites sur la diminution de la lumière qui passe à travers différentes épaisseurs du même verre, et l’on a vu que cette diminution est très considérable : j’ai donc cherché les moyens de parer à cet inconvénient, et j’ai trouvé une manière simple et assez aisée de diminuer réellement les épaisseurs des lentilles autant qu’il me plaît, sans pour cela diminuer sensiblement leur diamètre et sans allonger leur foyer.

Ce moyen consiste à travailler ma pièce de verre par échelons. Supposons, pour me faire mieux entendre, que je veuille diminuer de deux pouces l’épaisseur d’une lentille de verre qui a 26 pouces de diamètre, 5 pieds de foyer et 3 pouces d’épaisseur au centre ; je divise l’arc de cette lentille en trois parties, et je rapproche concentriquement chacune de ces portions d’arc, en sorte qu’il ne reste que 1 pouce d’épaisseur au centre ; et je forme de chaque côté un échelon de 1/2 pouce pour rapprocher de même les parties correspondantes : par ce moyen, en faisant un second échelon, j’arrive à l’extrémité du diamètre, et j’ai une lentille à échelons qui est à très peu près du même foyer, et qui a le même diamètre et près de deux fois moins d’épaisseur que la première, ce qui est un très grand avantage.

  1. On a néanmoins coulé à Saint-Gobain, et à ma prière, des glaces de 7 lignes, dont je me suis servi pour différentes expériences, il y a plus de vingt ans ; j’ai remis dernièrement une de ces glaces de 38 pouces en carré et de 7 lignes d’épaisseur à M. de Bernières, qui a entrepris de faire des loupes à l’eau pour l’Académie des Sciences, et j’ai vu chez lui des glaces de 10 lignes d’épaisseur qui ont été coulées de même à Saint-Gobain : cela doit faire présumer qu’on pourrait, sans aucun risque pour la table, en couler d’encore plus épaisses.
  2. Voyez les planches xiv, xv et xvi