Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 2.pdf/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le premier cas, devenue répulsive dans le second ? Et dès lors ne sommes-nous pas fondés à croire que ce changement de la matière fixe en lumière, et de la lumière en matière fixe, est une des plus fréquentes opérations de la nature ?

Après avoir montré que l’impulsion dépend de l’attraction, que la force expansive est la même que la force attractive devenue négative, que la lumière, et à plus forte raison la chaleur et le feu ne sont que des manières d’être de la matière commune ; qu’il n’existe, en un mot, qu’une seule force et une seule matière toujours prête à s’attirer ou à se repousser suivant les circonstances, recherchons comment, avec ce seul ressort et ce seul sujet, la nature peut varier ses œuvres à l’infini. Nous mettrons de la méthode dans cette recherche, et nous en présenterons les résultats avec plus de clarté, en nous abstenant de comparer d’abord les objets les plus éloignés, les plus opposés, comme le feu et l’eau, l’air et la terre, et en nous conduisant au contraire par les mêmes degrés, par les mêmes nuances douces que suit la nature dans toutes ses démarches. Comparons donc les choses les plus voisines, et tâchons d’en saisir les différences, c’est-à-dire les particularités, et de les présenter avec encore plus d’évidence que leurs généralités. Dans le point de vue général, la lumière, la chaleur et le feu ne font qu’un seul objet, mais dans le point de vue particulier, ce sont trois objets distincts, trois choses qui, quoique se ressemblant par un grand nombre de propriétés, diffèrent néanmoins par un petit nombre d’autres propriétés assez essentielles pour qu’on puisse les regarder comme trois choses différentes, et qu’on doive les comparer une à une.

Quelles sont d’abord les propriétés communes de la lumière et du feu, quelles sont aussi leurs propriétés différentes ? La lumière, dit-on, et le feu élémentaire ne sont qu’une même chose, une seule substance : cela peut être, mais comme nous n’avons pas encore d’idée nette du feu élémentaire, abstenons-nous de prononcer sur ce premier point. La lumière et le feu, tels que nous les connaissons, ne sont-ils pas au contraire deux choses différentes, deux substances distinctes et composées différemment ? Le feu est à la vérité très souvent lumineux, mais quelquefois aussi le feu existe sans aucune apparence de lumière ; le feu, soit lumineux, soit obscur, n’existe jamais sans une grande chaleur, tandis que la lumière brille souvent avec éclat sans la moindre chaleur sensible. La lumière paraît être l’ouvrage de la nature, le feu n’est que le produit de l’industrie de l’homme ; la lumière subsiste, pour ainsi dire, par elle-même, et se trouve répandue dans les espaces immenses de l’univers entier ; le feu ne peut subsister qu’avec des aliments, et ne se trouve qu’en quelques points de l’espace où l’homme le conserve, et dans quelques endroits de la profondeur de la terre, où il se trouve également entretenu par des aliments convenables. La lumière, à la vérité lorsqu’elle est condensée, réunie par l’art de l’homme, peut produire du feu ; mais ce n’est qu’autant qu’elle tombe sur des matières combustibles. La lumière n’est donc tout au plus, et dans ce seul cas, que le principe du feu, et non pas le feu ; ce principe même n’est pas immédiat, il en suppose un intermédiaire, et c’est celui de la chaleur qui paraît tenir encore de plus près que la lumière à l’essence du feu. Or, la chaleur existe tout aussi souvent sans lumière que la lumière existe sans chaleur ; ces deux principes ne paraissent donc pas nécessairement liés ensemble ; leurs effets ne sont ni simultanés ni contemporains, puisque dans de certaines circonstances on sent de la chaleur longtemps avant que la lumière paraisse, et que dans d’autres circonstances on voit de la lumière longtemps avant de sentir de la chaleur, et même sans en sentir aucune.

Dès lors la chaleur n’est-elle pas une autre manière d’être, une modification de la matière qui diffère, à la vérité, moins que toute autre de celle de la lumière, mais qu’on peut néanmoins considérer à part, et qu’on devrait concevoir encore plus aisément ? Car la facilité plus ou moins grande que nous avons à concevoir les opérations différentes de la nature dépend de celle que nous avons d’y appliquer nos sens : lorsqu’un effet de la