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III. — Lentilles ou Miroirs à l’eau.

Au moyen des glaces courbées et travaillées régulièrement dans leur concavité et sur leur convexité, on peut faire un miroir réfringent, en joignant par opposition deux de ces glaces, et en remplissant d’eau tout l’espace qu’elles contiennent.

Dans cette vue, j’ai fait courber deux glaces de 37 pouces de diamètre, et les ai fait user de 8 ou 9 lignes sur les bords pour les bien joindre. Par ce moyen, l’on n’aura pas besoin de mastic pour empêcher l’eau de fuir.

Au zénith du miroir il faut pratiquer un petit goulot[1], par lequel on en remplira la capacité avec un entonnoir ; et comme les vapeurs de l’eau échauffée par le soleil pourraient faire casser les glaces, on laissera ce goulot ouvert pour laisser échapper les vapeurs, et afin de tenir le miroir toujours absolument plein d’eau, on ajustera dans ce goulot une petite bouteille pleine d’eau, et cette bouteille finira elle-même en haut par un goulot étroit, afin que, dans les différentes inclinaisons du miroir, l’eau qu’elle contiendra ne puisse pas se répandre en trop grande quantité.

Cette lentille, composée de deux glaces de 37 pouces, chacune de 2 pieds 1/2 de foyer, brûlerait à 5 pieds, si elle était de verre ; mais l’eau ayant une moindre réfraction que le verre, le foyer sera plus éloigné ; il ne laissera pas néanmoins de brûler vivement. J’ai supputé qu’à la distance de 5 pieds 1/2, cette lentille à l’eau produirait au moins deux fois autant de chaleur que la lentille du Palais-Royal, qui est de verre solide, et dont le foyer est à 12 pieds.

J’avais conservé une assez forte épaisseur aux glaces, afin que le poids de l’eau qu’elles devaient renfermer ne pût en altérer la courbure. On pourrait essayer de rendre l’eau plus réfringente, en y faisant fondre des sels : comme l’eau peut successivement fondre plusieurs sels, et s’en charger en plus grande quantité qu’elle ne se chargerait d’un seul sel, il faudrait en fondre de plusieurs espèces, et on rendrait par ce moyen la réfraction de l’eau plus approchante de celle du verre.

Tel était mon projet ; mais, après avoir travaillé et ajusté ces glaces de 37 pouces, celle du dessous s’est cassée dès la première expérience, et comme il ne m’en restait qu’une, j’en ai fait le miroir concave de 37 pouces dont j’ai parlé dans l’article précédent.

Ces loupes, composées de deux glaces sphériquement courbées et remplies d’eau, brûleront en bas, et produiront de plus grands effets que les loupes de verre massif, parce que l’eau laisse passer plus aisément la lumière que le verre le plus transparent ; mais l’exécution ne laisse pas d’en être difficile, et demande des attentions infinies. L’expérience m’a fait connaître qu’il fallait des glaces épaisses de 9 ou 8 lignes au moins, c’est-à-dire des glaces faites exprès, car on n’en coule point aux manufactures d’aussi épaisses à beaucoup près ; toutes celles qui sont dans le commerce n’ont qu’environ moitié de cette épaisseur : il faut ensuite courber ces glaces dans un fourneau pareil à celui dont j’ai donné la figure, planche i et suivantes ; avoir attention de bien sécher le fourneau, de ne pas presser le feu et d’employer au moins trente heures à l’opération. La glace se ramollira et pliera par son poids sans se dissoudre, et s’affaissera sur le moule concave qui lui donnera sa forme : on la laissera recuire et refroidir par degrés dans ce fourneau, qu’on aura soin de boucher au moment qu’on aura vu la glace bien affaissée partout également. Deux jours après, lorsque le fourneau aura perdu toute sa chaleur, on en tirera la glace, qui ne sera que légèrement dépolie, on examinera avec un grand compas courbe si son épaisseur est à peu près égale partout, et si cela n’était pas, et qu’il y eût dans de certaines parties de la glace une inégalité sensible, on commencera par l’atténuer avec une

  1. Voyez la planche xii.