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M. de Bernières, beaucoup plus habile que moi dans cet art de l’étamage, vint à mon secours, et me rendit en effet deux de mes glaces étamées : j’eus l’honneur d’en présenter au Roi la plus grande, c’est-à-dire celle de 46 pouces, et de faire devant Sa Majesté les expériences de la force de ce miroir ardent qui fond aisément tous les métaux ; on l’a déposé au château de la Muette, dans un cabinet qui est sous la direction du Père Noël ; c’est certainement le plus fort miroir ardent qu’il y ait en Europe[1]. J’ai déposé au Jardin du Roi, dans le Cabinet d’Histoire naturelle, la glace de 37 pouces de diamètre, dont le foyer est beaucoup plus court que celui du miroir de 46 pouces. Je n’ai pas encore eu le temps d’essayer la force de ce second miroir, que je crois aussi très bon. Je fis, dans le temps, quelques expériences au château de la Muette sur la lumière de la lune, reçue par le miroir de 46 pouces, et réfléchie sur un thermomètre très sensible ; je crus d’abord m’apercevoir de quelque mouvement, mais cet effet ne se soutint pas, et depuis je n’ai pas eu occasion de répéter l’expérience. Je ne sais même si l’on obtiendrait un degré de chaleur sensible en réunissant les foyers de plusieurs miroirs, et les faisant tomber ensemble sur un thermomètre aplati et noirci ; car il se peut que la lune nous envoie du froid plutôt que du chaud, comme nous l’expliquerons ailleurs. Du reste, ces miroirs sont supérieurs à tous les miroirs de réflexion dont on avait connaissance : ils servent aussi à voir en grand les petits tableaux, et à en distinguer toutes les beautés et tous les défauts ; et si on en fait étamer de pareils dans leur concavité, ce qui serait bien plus aisé que sur la convexité, ils serviraient à voir les plafonds et autres peintures qui sont trop grandes et trop perpendiculaires sur la tête pour pouvoir être regardées aisément.

Mais ces miroirs ont l’inconvénient commun à tous les miroirs de ce genre, qui est de brûler en haut, ce qui fait qu’on ne peut travailler de suite à leur foyer, et qu’ils deviennent presque inutiles pour toutes les expériences qui demandent une longue action du feu et des opérations suivies. Néanmoins, en recevant d’abord les rayons du soleil sur une glace plane de 4 pieds 1/2 de hauteur et d’autant de largeur qui les réfléchit contre ces miroirs concaves, ils sont assez puissants pour que cette perte, qui est de la moitié de la chaleur, ne les empêche pas de brûler très vivement à leur foyer, qui par ce moyen se trouve en bas comme celui des miroirs de réfraction, et auquel par conséquent on pourrait travailler de suite et avec une égale facilité. Seulement il serait nécessaire que la glace plane et le miroir concave fussent tous deux montés parallèlement sur un même support, où ils pourraient recevoir également les mêmes mouvements de direction et d’inclinaison, soit horizontalement, soit verticalement. L’effet que le miroir de 46 pouces de diamètre ferait en bas, n’étant que de moitié de celui qu’il produit en haut, c’est comme si la surface de ce miroir était réduite de moitié, c’est-à-dire comme s’il n’avait qu’un peu plus de 32 pouces de diamètre au lieu de 46 ; et cette dimension de 32 pouces de diamètre pour un foyer de 6 pieds ne laisse pas de donner une chaleur plus grande que celle des lentilles de Tschirnaüs ou du sieur Segard, dont je me suis autrefois servi, et qui sont les meilleures que l’on connaisse.

Enfin, par la réunion de ces deux miroirs, on aurait aux rayons du soleil une chaleur immense à leur foyer commun, surtout en le recevant en haut, qui ne serait diminuée que de moitié en le recevant en bas, et qui par conséquent serait beaucoup plus grande qu’aucune autre chaleur connue, et pourrait produire des effets dont nous n’avons aucune idée.

  1. On m’a dit que l’étamage de ce miroir, qui a été fait il y a plus de vingt ans, s’était gâté : il faudrait le remettre entre les mains de M. de Bernières, qui seul a le secret de cet étamage, pour le bien réparer.