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une confusion qui est comme le carré du diamètre de l’ouverture[1], et c’est par cette raison que les verres sphériques, qui sont très bons avec une petite ouverture, ne valent plus rien quand on l’augmente : on a plus de lumière, mais moins de distinction et de netteté. Néanmoins les verres sphériques larges sont très bons pour faire des lunettes de nuit ; les Anglais ont construit des lunettes de cette espèce, et ils s’en servent avec grand avantage pour voir de fort loin les vaisseaux dans une nuit obscure. Mais maintenant que l’on sait corriger en grande partie les effets de la différente réfrangibilité des rayons, il me semble qu’il faudrait s’attacher à faire des verres elliptiques ou hyperboliques qui ne produiraient pas cette aberration causée par la sphéricité, et qui par conséquent pourraient être trois ou quatre fois plus larges que les verres sphériques. Il n’y a que ce moyen d’augmenter à nos yeux la quantité de lumière que nous envoient les planètes, car nous ne pouvons pas porter sur les planètes une lumière additionnelle comme nous le faisons sur les objets que nous observons au microscope ; mais il faut au moins employer le plus avantageusement qu’il est possible la quantité de lumière dont elles sont éclairées, en la recevant sur une surface aussi grande qu’il se pourra. Cette lunette hyperbolique qui ne serait composée que d’un seul grand verre objectif, et d’un oculaire proportionné, exigerait une matière de la plus grande transparence. On réunirait par ce moyen tous les avantages possibles, c’est-à-dire ceux des lunettes achromatiques à celui des lunettes elliptiques ou hyperboliques, et l’on mettrait à profit toute la quantité de lumière que chaque planète réfléchit à nos yeux. Je puis me tromper, mais ce que je propose me paraît assez fondé pour en recommander l’exécution aux personnes zélées pour l’avancement des sciences.

Me laissant aller à ces espèces de rêveries, dont quelques-unes néanmoins se réaliseront un jour, et que je ne publie que dans cette espérance, j’ai songé au miroir du port d’Alexandrie, dont quelques auteurs anciens ont parlé, et par le moyen duquel on voyait de très loin les vaisseaux en pleine mer. Le passage le plus positif qui me soit tombé sous les yeux est celui que je vais rapporter : « Alexandria… in Pharo verò erat speculum e ferro sinico, per quod a longè videbantur naves Græcorum advenientes ; paulò postquam Islamismus invaluit, scilicet tempore califatùs Walidi, filii Abd-el-Melek, Christiani, fraude adhibità, illud deleverunt. » Abul-l-feda, etc. Descriptio Ægypti.

J’ai pensé : 1o que ce miroir par lequel on voyait de loin les vaisseaux arriver n’était pas impossible ; 2o que même, sans miroir ni lunette, on pourrait, par de certaines dispositions, obtenir le même effet, et voir depuis le port les vaisseaux peut-être d’aussi loin que la courbure de la terre le permet. Nous avons dit que les personnes qui ont bonne vue aperçoivent les objets éclairés par le soleil à plus de trois mille quatre cents fois leur diamètre, et en même temps nous avons remarqué que la lumière intermédiaire nuisait si fort à celle des objets éloignés, qu’on apercevait la nuit un objet lumineux de dix, vingt et peut-être cent fois plus de distance qu’on ne le voit pendant le jour. Nous savons que du fond d’un puits très profond l’on voit les étoiles en plein jour[2] : pourquoi donc ne verrait-on, pas de même les vaisseaux éclairés des rayons du soleil, en se mettant au fond d’une longue galerie fort obscure et située sur le bord de la mer, de manière qu’elle ne recevrait aucune lumière que celle de la mer lointaine et des vaisseaux qui pourraient s’y trouver ; cette galerie n’est qu’un puits horizontal qui ferait le même effet pour la vue des vaisseaux que le puits vertical pour la vue des étoiles ; et cela me paraît si simple, que je suis étonné qu’on n’y ait pas songé. Il me semble qu’en prenant, pour faire l’observation, les heures du jour où le soleil serait derrière la galerie, c’est-à-dire le temps où les

  1. Smith’s Optick. Book II, chap. vii, art. 346.
  2. Aristote est, je crois, le premier qui ait fait mention de cette observation, et j’en ai cité le passage à l’article du Sens de la vue, t. II, p. 111, de cette Histoire naturelle.