Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 2.pdf/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y aurait seulement quelque petite différence dans la construction de cette lunette solaire, si l’on veut qu’elle nous présente la face entière du soleil, car en la supposant longue de 100 pieds, il faudra dans ce cas que le verre oculaire ait au moins 10 pouces de diamètre, parce que le soleil occupant plus de 1/2 degré céleste, l’image formée par l’objectif à son foyer à 100 pieds, aura au moins cette longueur de 10 pouces, et que, pour la réunir tout entière, il faudra un oculaire de cette largeur auquel on ne donnerait que 20 pouces de foyer pour le rendre aussi fort qu’il se pourrait. Il faudrait aussi que l’objectif, ainsi que l’oculaire, eût 10 pouces de diamètre, afin que l’image de l’astre et l’image de l’ouverture de la lunette se trouvassent d’égale grandeur au foyer.

Quand même cette lunette que je propose ne servirait qu’à observer exactement le soleil, ce serait déjà beaucoup : il serait, par exemple, fort curieux de pouvoir reconnaître s’il y a dans cet astre des parties plus ou moins lumineuses que d’autres, s’il y a sur sa surface des inégalités, et de quelle espèce elles seraient, si les taches flottent sur sa surface[1], ou si elles y sont toutes constamment attachées, etc. La vivacité de sa lumière nous empêche de l’observer à l’œil simple, et la différente réfrangibilité de ses rayons rend son image confuse lorsqu’on la reçoit au foyer d’un objectif sur un carton : aussi la surface du soleil nous est-elle moins connue que celle des autres planètes. Cette différente réfrangibilité des rayons ne serait pas à beaucoup près entièrement corrigée dans cette longue lunette remplie d’eau ; mais si cette liqueur pouvait, par l’addition des sels, être rendue aussi dense que le verre, ce serait alors la même chose que s’il n’y avait qu’un seul verre à traverser, et il me semble qu’il y aurait plus d’avantage à se servir de ces lunettes remplies d’eau, que de lunettes ordinaires avec des verres enfumés.

Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il faut, pour observer le soleil, une lunette bien différente de celles dont on doit se servir pour les autres astres, et il est encore très certain qu’il faut pour chaque planète une lunette particulière, et proportionnée à leur intensité de lumière, c’est-à-dire à la quantité réelle de lumière dont elles nous paraissent éclairées. Dans toutes les lunettes il faudrait donc l’objectif aussi grand, et l’oculaire aussi fort qu’il est possible, et en même temps proportionner la distance du foyer à l’intensité de la lumière de chaque planète. Par exemple, Vénus et Saturne sont deux planètes dont la lumière est fort différente : lorsqu’on les observe avec la même lunette on augmente également l’angle sous lequel on les voit ; dès lors la lumière totale de la planète paraît s’étendre sur toute sa surface d’autant plus qu’on la grossit davantage. Ainsi à mesure qu’on agrandit son image on la rend sombre, à peu près dans la proportion du carré de son diamètre : Saturne ne peut donc, sans devenir obscur, être observé avec une lunette aussi forte que Vénus. Si l’intensité de lumière de celle-ci permet de la grossir cent ou deux cents fois avant de devenir sombre, l’autre ne souffrira peut-être pas la moitié ou le tiers de cette augmentation sans devenir tout à fait obscure. Il s’agit donc de faire une lunette pour chaque planète proportionnée à leur intensité de lumière ; et, pour le faire avec plus d’avantage, il me semble qu’il n’y faut employer qu’un objectif d’autant plus grand, et d’un foyer d’autant moins long que la planète a moins de lumière. Pourquoi jusqu’à ce jour n’a-t-on pas fait des objectifs de 2 et 3 pieds de diamètre ? l’aberration des rayons, causée par la sphéricité des verres, en est la seule cause ; elle

  1. M. de Lalande m’a fait sur ceci la remarque qui suit : « Il est constant, dit-il, qu’il n’y a sur le soleil que des taches qui changent de forme et disparaissent entièrement, mais qui ne changent point de place, si ce n’est par la rotation du soleil ; sa surface est très unie et homogène. » Ce savant astronome pouvait même ajouter que ce n’est que par le moyen de ces taches, toujours supposées fixes, qu’on a déterminé le temps de la révolution du soleil sur son axe : mais ce point d’astronomie physique ne me paraît pas encore absolument démontré ; car ces taches, qui toutes changent de figure, pourraient bien aussi quelquefois changer de lieu.