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en traversant une épaisseur de 6 lignes de verre de Bohême, et elle en perdrait encore moins, si, au lieu de trois morceaux de 2 lignes appliqués l’un sur l’autre, elle n’avait à traverser qu’un seul morceau de 6 lignes d’épaisseur.

Avec le verre que j’ai fait fondre en masse épaisse, j’ai vu que la lumière ne perdait pas plus à travers 4 pouces 1/2 d’épaisseur de ce verre qu’à travers une glace de Saint-Gobain de 2 lignes 1/2 d’épaisseur : il me semble donc qu’on pourrait en conclure que la transparence de ce verre étant, à celle de cette glace, comme 4 pouces 1/2 sont à 2 lignes 1/2, ou 54 à 2 1/2, c’est-à-dire plus de vingt et une fois plus grande, on pourrait faire de très bonnes petites lunettes massives de 5 ou 6 pouces de longueur avec ce verre.

Mais pour des lunettes longues, on ne peut employer que de l’eau, et encore est-il à craindre que le même inconvénient ne subsiste, car quelle sera l’opacité qui résultera de cette quantité de liqueur que je suppose remplir l’intervalle entre les deux verres ? Plus les lunettes seront longues et plus on perdra de lumière ; en sorte qu’il paraît au premier coup d’œil qu’on ne peut pas se servir de ce moyen, surtout pour les lunettes un peu longues ; car, en suivant ce que dit M. Bouguer dans son Essai d’Optique sur la gradation de la lumière, 9 pieds 7 pouces d’eau de mer font diminuer la lumière dans le rapport de 14 à 5 ; ou, ce qui revient à peu près au même, supposons que 10 pieds d’épaisseur d’eau diminuent la lumière dans le rapport de 3 à 1, alors 20 pieds d’épaisseur d’eau la diminueront dans le rapport de 9 à 1 ; 30 pieds la diminuèrent dans celui de 27 à 1, etc. Il paraît donc qu’on ne pourrait se servir de ces longues lunettes pleines d’eau que pour observer le soleil, et que les autres astres n’auraient pas assez de lumière pour qu’il fût possible de les apercevoir à travers une épaisseur de 20 à 30 pieds de liqueur intermédiaire.

Cependant si l’on fait attention qu’en ne donnant que 1 pouce ou 1 pouce 1/2 d’ouverture à un objectif de 40 pieds, on ne laisse pas d’apercevoir très nettement les planètes dans les lunettes ordinaires de cette longueur, on doit penser qu’en donnant un plus grand diamètre à l’objectif, on augmenterait la quantité de lumière dans la raison du carré de ce diamètre, et par conséquent si un pouce d’ouverture suffit pour voir distinctement un astre dans une lunette ordinaire, √3 pouces d’ouverture, c’est-à-dire 21 lignes environ de diamètre suffiront pour qu’on le voie aussi distinctement à travers une épaisseur de 10 pieds d’eau ; et qu’avec un verre de 3 pouces de diamètre, on le verrait également à travers une épaisseur de 20 pieds d’eau ; qu’avec un verre de √27 ou 5 pouces 1/4 de diamètre, on le verrait à travers une épaisseur de 30 pieds, et qu’il ne faudrait qu’un verre de 9 pouces de diamètre pour une lunette remplie de 40 pieds d’eau, et un verre de 27 pouces pour une lunette de 60 pieds.

Il semble donc qu’on pourrait, avec espérance de réussir, faire construire une lunette sur ces principes ; car en augmentant le diamètre de l’objectif, on regagne en partie la lumière que l’on perd par le défaut de transparence de la liqueur.

On ne doit pas craindre que les objectifs, quelque grands qu’ils soient, fassent une trop grande partie de la sphère sur laquelle ils seront travaillés, et que par cette raison les rayons de la lumière ne puissent se réunir exactement ; car en supposant même ces objectifs sept ou huit fois plus grands que je ne les ai déterminés, ils ne feraient pas encore à beaucoup près une assez grande partie de leur sphère pour ne pas réunir les rayons avec exactitude.

Mais ce qui ne me paraît pas douteux, c’est qu’une lunette construite de cette façon serait très utile pour observer le soleil ; car en la supposant même longue de 100 pieds, la lumière de cet astre ne serait encore que trop forte après avoir traversé cette épaisseur d’eau, et on observerait à loisir et aisément la surface de cet astre immédiatement, sans qu’il fût nécessaire de se servir de verres enfumés ou d’en recevoir l’image sur un carton, avantage qu’aucune autre espèce de lunette ne peut avoir.