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On ne peut donc perfectionner les lunettes par réfraction qu’en cherchant, comme on l’a fait, les moyens de corriger cet effet de la différente réfrangibilité, soit en composant la lunette de verres de différente densité, soit par d’autres moyens particuliers, et qui seraient différents selon les différents objets et les différentes circonstances : supposons, par exemple, une courte lunette composée de deux verres, l’un convexe et l’autre concave des deux côtés, il est certain que cette lunette peut se réduire à une autre, dont les deux verres soient plans d’un côté, et travaillés de l’autre côté sur des sphères dont le rayon serait une fois plus court que celui des sphères sur lesquelles auraient été travaillés les verres de la première lunette. Maintenant, pour éviter une grande partie de l’effet de la différente réfrangibilité des rayons, on peut faire cette seconde lunette d’une seule pièce de verre massif, comme je l’ai fait exécuter avec deux morceaux de verre blanc, l’un de 2 pouces 1/2 de longueur, et l’autre de 1 pouce 1/2 ; mais alors la perte de la transparence est un plus grand inconvénient que celui de la différente réfrangibilité qu’on corrige par ce moyen ; car ces deux petites lunettes massives de verre sont plus obscures qu’une petite lunette ordinaire du même verre et des mêmes dimensions : elles donnent à la vérité moins d’iris, mais elles n’en sont pas meilleures ; et si on les faisait plus longues, toujours en verre massif, la lumière après avoir traversé cette épaisseur de verre, n’aurait plus assez de force pour peindre l’image de l’objet à notre œil. Ainsi, pour faire des lunettes de 10 ou 30 pieds, je ne vois que l’eau qui ait assez de transparence pour laisser passer la lumière sans l’éteindre en entier dans cette grande épaisseur : en employant donc de l’eau pour remplir l’intervalle entre l’objectif et l’oculaire, on diminuera en partie l’effet de la différente réfrangibilité[1], parce que celle de l’eau approche plus de celle du verre que celle de l’air, et si on pouvait, en chargeant l’eau de différents sels, lui donner le même degré de puissance réfringente qu’au verre, il n’est pas douteux qu’on ne corrigeât davantage par ce moyen l’effet de la différente réfrangibilité des rayons. Il s’agirait donc d’employer une liqueur transparente qui aurait à peu près la même puissance réfrangible que le verre ; car alors il sera sûr que les deux verres, avec cette liqueur entre-deux, corrigeront en partie l’effet de la différente réfrangibilité des rayons, de la même façon quelle est corrigée dans la petite lunette massive dont je viens de parler.

Suivant les expériences de M. Bouguer, une ligne d’épaisseur de verre détruit 2/7 de la lumière, et par conséquent la diminution s’en ferait dans la proportion suivante :

Diminutions.Épaisseurs. ..... 1, 2, 3, 4, 5, 6 lignes
Diminutions. ..... 2/7, 10/49, 50/343, 250/2401, 1250/16807, 6250/117649,

en sorte que par la somme de ces six termes on trouverait que la lumière qui passe à travers ces 6 lignes de verre, aurait déjà perdu 102024/117649, c’est-à-dire environ le 10/11 de sa quantité. Mais il faut considérer que M. Bouguer s’est servi de verres bien peu transparents, puisqu’il a vu qu’une ligne d’épaisseur de ces verres détruisait 2/7 de la lumière. Par les expériences que j’ai faites sur différentes espèces de verre blanc, il m’a paru que la lumière diminuait beaucoup moins. Voici ces expériences, qui sont assez faciles à faire, et que tout le monde est en état de répéter.

  1. M. de Lalande, l’un de nos plus savants astronomes, après avoir lu cet article, a bien voulu me communiquer quelques remarques qui m’ont paru très justes et dont j’ai profité. Seulement je ne suis pas d’accord avec lui sur ces lunettes remplies d’eau : il croit qu’on diminuerait très peu la différente réfrangibilité, parce que l’eau disperse les rayons colorés d’une manière différente du verre, et qu’il y aurait des couleurs qui proviendraient de l’eau et d’autres du verre. Mais en se servant du verre le moins dense, et en augmentant par les sels la densité de l’eau, on rapprocherait de très près leur puissance réfractive.