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ce jour, parce que l’effet de la dernière, étant beaucoup plus considérable, influe si fort sur l’effet total qu’on ne pouvait rien gagner à substituer des verres hyperboliques ou elliptiques à des verres sphériques, et que cette substitution ne pouvait devenir avantageuse que dans le cas où l’on pourrait trouver le moyen de corriger l’effet de la différente réfrangibilité des rayons de la lumière : il semble donc qu’aujourd’hui l’on ferait bien de combiner les deux moyens, et de substituer, dans les lunettes achromatiques, des verres elliptiques aux sphériques.

Pour rendre ceci plus sensible, supposons que l’objet qu’on observe soit un point lumineux sans étendue, tel qu’est une étoile fixe par rapport à nous : il est certain qu’avec un objectif, par exemple, de 30 pieds de foyer, toutes les images de ce point lumineux s’étendront en forme de courbe au foyer de ce verre s’il est travaillé sur une sphère, et qu’au contraire elles se réuniront en un point si ce verre est hyperbolique ; mais si l’objet qu’on observe a une certaine étendue, comme la lune, qui occupe environ 1/2 degré d’espace à nos yeux, alors l’image de cet objet occupera un espace d’environ 3 pouces de diamètre au foyer de l’objectif de 30 pieds, et l’aberration causée par la sphéricité produisant une confusion dans un point lumineux quelconque, elle la produit de même sur tous les points lumineux du disque de la lune, et par conséquent la défigure en entier. Il y aurait donc, dans tous les cas, beaucoup d’avantage à se servir de verres elliptiques ou hyperboliques pour de longues lunettes, puisqu’on a trouvé le moyen de corriger en grande partie le mauvais effet produit par la différente réfrangibilité des rayons.

Il suit de ce que nous venons de dire, que, si l’on veut faire une lunette de 30 pieds pour observer la lune et la voir en entier, le verre oculaire doit avoir au moins 3 pouces de diamètre pour recueillir l’image entière que produit l’objectif à son foyer, et que, si on voulait observer cet astre avec une lunette de 60 pieds, l’oculaire doit avoir au moins 6 de diamètre, parce que la corde de l’arc qui mesure l’angle sous lequel nous paraît la lune est dans ce cas de 3 pouces et de 6 pouces à peu près : aussi les astronomes ne font jamais usage de lunettes qui renferment le disque entier de la lune, parce qu’elles grossiraient trop peu ; mais si on veut observer Vénus avec une lunette de 60 pieds, comme l’angle sous lequel elle nous paraît n’est que d’environ 60 secondes, le verre oculaire pourra n’avoir que 4 lignes de diamètre, et si on se sert d’un objectif de 120 pieds, un oculaire de 8 lignes de diamètre suffirait pour réunir l’image entière que l’objectif forme à son foyer.

De là on voit que, quand même les rayons de lumière seraient également réfrangibles, on ne pourrait pas faire d’aussi fortes lunettes pour voir la lune en entier que pour voir les autres planètes, et que plus une planète est petite à nos yeux, et plus nous pouvons augmenter la longueur de la lunette avec laquelle on peut la voir en entier. Dès lors on conçoit bien que dans cette même supposition des rayons également réfrangibles, il doit y avoir une certaine longueur déterminée plus avantageuse qu’aucune autre pour telle ou telle planète, et que cette longueur de la lunette dépend non seulement de l’angle sous lequel la planète paraît à notre œil, mais encore de la quantité de lumière dont elle est éclairée.

Dans les lunettes ordinaires, les rayons de la lumière étant différemment réfrangibles, tout ce qu’on pourrait faire dans cette vue pour les perfectionner ne serait pas fort avantageux, parce que sous quelque angle que paraisse à notre œil l’objet ou l’astre que nous voulons observer, et quelque intensité de lumière qu’il puisse avoir, les rayons ne se rassembleront jamais dans le même endroit : plus la lunette sera longue, plus il y aura d’intervalle[1] entre le foyer des rayons rouges et celui des rayons violets, et par conséquent plus sera confuse l’image de l’objet observé.

  1. Cet intervalle est de 1 pied sur 27 de foyer.