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déterminé Newton à se servir d’huile de lin au lieu de mercure, et en effet on pourra, en se servant de cette liqueur, étendre la division non seulement à 12 degrés, mais jusqu’au point de cette huile bouillante. Je ne propose pas de remplir ces thermomètres avec de l’esprit-de-vin coloré ; il est universellement reconnu que cette liqueur se décompose au bout d’un assez petit temps[1], et que d’ailleurs elle ne peut servir aux expériences d’une chaleur un peu forte.

Lorsqu’on aura marqué sur l’échelle de ces thermomètres remplis d’huile ou de mercure les premières divisions 1, 2, 3, 4, etc., qui indiqueront le double, le triple, le quadruple, etc., des augmentations de la chaleur, il faudra chercher les parties aliquotes de chaque division, par exemple les points de 1 1/4, 2 1/4, 3 1/4, etc., ou 1 1/2, 2 1/2, 3 1/2, etc. ; et de 1 3/4, 2 3/4, 3 3/4, etc., ce que l’on obtiendra par un moyen facile, qui sera de couvrir la moitié, ou le quart, ou les trois quarts de la superficie d’un des petits miroirs, car alors l’image qu’il réfléchira ne contiendra que le quart, la moitié ou les trois quarts de la chaleur que contient l’image entière ; et par conséquent les divisions des parties aliquotes seront aussi exactes que celles des nombres entiers.

Si l’on réussit une fois à faire ce thermomètre réel, et que j’appelle ainsi parce qu’il marquerait réellement la proportion de la chaleur, tous les autres thermomètres, dont les échelles sont arbitraires et différentes entre elles, deviendraient non seulement superflus, mais même nuisibles, dans bien des cas, à la précision des vérités physiques qu’on cherche par leur moyen. On peut se rappeler l’exemple que j’en ai donné en parlant de l’estimation de la chaleur qui émane du globe de la terre, comparée à la chaleur qui nous vient du soleil.

5o Au moyen de ces miroirs brisés, on pourra aisément recueillir dans leur entière pureté les parties volatiles de l’or et de l’argent et des autres métaux et minéraux ; car en exposant au large foyer de ces miroirs une grande plaque de métal, comme une assiette ou un plat d’argent, on en verra sortir une fumée très abondante pendant un temps considérable, jusqu’au moment où le métal tombe en fusion ; et, en ne donnant qu’une chaleur un peu moindre que celle qu’exige la fusion, on fera évaporer le métal au point d’en diminuer le poids assez considérablement. Je me suis assuré de ce premier fait, qui peut fournir des lumières sur la composition intime des métaux : j’aurais bien désiré recueillir cette vapeur abondante que le feu pur du soleil fait sortir du métal ; mais je n’avais pas les instruments nécessaires, et je ne puis que recommander aux chimistes et aux physiciens de suivre cette expérience importante, dont les résultats seraient d’autant moins équivoques, que la vapeur métallique est ici très pure ; au lieu que, dans toute opération semblable qu’on voudrait faire avec le feu commun, la vapeur métallique serait nécessairement mêlée d’autres vapeurs provenant des matières combustibles qui servent d’aliment à ce feu.

D’ailleurs ce moyen est peut-être le seul que nous ayons pour volatiliser les métaux fixes, tels que l’or et l’argent ; car je présume que cette vapeur que j’ai vue s’élever en si grande quantité de ces métaux échauffés au large foyer de mon miroir n’est pas de l’eau ni quelque autre liqueur, mais des parties mêmes du métal que la chaleur en détache en les volatilisant. On pourrait, en recevant ainsi les vapeurs pures des différents métaux, les mêler ensemble et faire par ce moyen des alliages plus intimes et plus purs qu’on ne l’a fait par la fusion et par la mixtion de ces mêmes métaux fondus, qui ne se marient jamais parfaitement à cause de l’inégalité de leur pesanteur spécifique et de plusieurs autres circonstances qui s’opposent à l’intimité et à l’égalité parfaite du mélange. Comme

  1. Plusieurs voyageurs m’ont écrit que les thermomètres à l’esprit-de-vin, de Réaumur, leur étaient devenus tout à fait inutiles, parce que cette liqueur se décolore et se charge d’une espèce de boue en assez peu de temps.