Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 2.pdf/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intermédiaires qui approchent plus ou moins de la pesanteur du rayon rouge ou de la légèreté du rayon violet : toutes ces conséquences dérivent nécessairement des phénomènes de l’inflexion de la lumière et de sa réfraction[1], qui, dans le réel, n’est qu’une inflexion qui s’opère lorsque la lumière passe à travers les corps transparents ; 4o on peut démontrer que la lumière est massive, et qu’elle agit, dans quelques cas, comme agissent tous les autres corps ; car, indépendamment de son effet ordinaire qui est de briller à nos yeux, et de son action propre toujours accompagnée d’éclat et souvent de chaleur, elle agit par sa masse lorsqu’on la condense en la réunissant ; et elle agit au point de mettre en mouvement des corps assez pesants placés au foyer d’un bon miroir ardent ; elle fait tourner une aiguille sur un pivot placé à son foyer ; elle pousse, déplace et chasse les feuilles d’or ou d’argent qu’on lui présente avant de les fondre, et même avant de les échauffer sensiblement. Cette action produite par sa masse est la première, et précède celle de la chaleur ; elle s’opère entre la lumière condensée et les feuilles de métal, de la même façon qu’elle s’opère entre deux autres corps qui deviennent contigus, et par conséquent la lumière a encore cette propriété commune avec toute autre matière ; 5o enfin, on sera forcé de convenir que la lumière est un mixte, c’est-à-dire une matière composée comme la matière commune non seulement de parties plus grosses et plus petites, plus ou moins pesantes, plus ou moins mobiles, mais encore différemment figurées ; quiconque aura réfléchi sur les phénomènes que Newton appelle les accès de facile réflexion et de facile transmission de la lumière, et sur les effets de la double réfraction du cristal de roche et du spath appelé cristal d’Islande, ne pourra s’empêcher de reconnaître que les atomes de la lumière ont plusieurs côtés, plusieurs faces différentes, qui, selon qu’elles se présentent, produisent constamment des effets différents[2].

  1. L’attraction universelle agit sur la lumière ; il ne faut, pour s’en convaincre, qu’examiner les cas extrêmes de la réfraction : lorsqu’un rayon de lumière passe à travers un cristal, sous un certain angle d’obliquité, la direction change tout à coup, et, au lieu de continuer sa route, il rentre dans le cristal et se réfléchit. Si la lumière passe du verre dans le vide, toute la force de cette puissance s’exerce, et le rayon est contraint de rentrer, et rentre dans le verre par un effet de son attraction que rien ne balance ; si la lumière passe du cristal dans l’air, l’attraction du cristal, plus forte que celle de l’air, la ramène encore, mais avec moins de force, parce que cette attraction du verre est en partie détruite par celle de l’air qui agit en sens contraire sur le rayon de lumière ; si ce rayon passe du cristal dans l’eau, l’effet est bien moins sensible, le rayon rentre à peine, parce que l’attraction du cristal est presque toute détruite par celle de l’eau, qui s’oppose à son action ; enfin, si la lumière passe du cristal dans le cristal, comme les deux attractions sont égales, l’effet s’évanouit et le rayon continue sa route. D’autres expériences démontrent que cette puissance attractive, ou cette force réfringente, est toujours à très peu près proportionnelle à la densité des matières transparentes, à l’exception des corps onctueux et sulfureux, dont la force réfringente est plus grande, parce que la lumière a plus d’analogie, plus de rapport de nature avec les matières inflammables qu’avec les autres matières. — Mais s’il restait quelque doute sur cette attraction de la lumière vers les corps, qu’on jette les yeux sur les inflexions que souffre un rayon lorsqu’il passe fort près de la surface d’un corps : un trait de lumière ne peut entrer par un très petit trou, dans une chambre obscure, sans être puissamment attiré vers les bords du trou ; ce petit faisceau de rayons se divise, chaque rayon voisin de la circonférence du trou se plie vers cette circonférence, et cette inflexion produit des franges colorées, des apparences constantes, qui sont l’effet de l’attraction de la lumière vers les corps voisins ; il en est de même des rayons qui passent entre deux lames de couteaux : les uns se plient vers la lame supérieure, les autres vers la lame inférieure ; il n’y a que ceux du milieu qui, souffrant une égale attraction des deux côtés, ne sont pas détournés, et suivent leur direction.
  2. Chaque rayon de lumière a deux côtés opposés, doués originairement d’une propriété d’où dépend la réfraction extraordinaire du cristal, et deux autres côtés opposés qui n’ont