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a dit qu’Archimède brûlait des navires de fort loin, devaient être extrêmement grands, ou plutôt qu’ils sont fabuleux. »

C’est ici où je bornerai mes réflexions : si notre illustre philosophe eût su que les grands foyers brûlent plus que les petits à égale intensité de lumière, il aurait jugé bien différemment, et il aurait mis une forte restriction à cette conclusion.

Mais, indépendamment de cette connaissance qui lui manquait, son raisonnement n’est point du tout exact ; car un miroir ardent dont le diamètre n’est pas plus grand qu’environ la centième partie qui est entre lui et le lieu où il doit rassembler les rayons n’est plus un miroir ardent, puisque le diamètre de l’image est environ égal au diamètre du miroir dans ce cas, et par conséquent il ne peut rassembler les rayons, comme le dit Descartes, qui semble n’avoir pas vu qu’on doit réduire ce cas à celui des miroirs plans. Mais de plus, en n’employant que ce qu’il savait et ce qu’il avait prévu, il est visible que, s’il eût réfléchi sur l’effet de ce prétendu miroir qu’il suppose poli par un ange, et qui ne doit pas rassembler, mais seulement réfléchir la lumière avec autant de force qu’elle en a en venant directement du soleil, il aurait vu qu’il était possible de brûler à de grandes distances avec un miroir de médiocre grandeur s’il eût pu lui donner la figure convenable, car il aurait trouvé que dans cette hypothèse un miroir de 5 pieds aurait brûlé à plus de 200 pieds, parce qu’il ne faut pas six fois la chaleur du soleil pour brûler à cette distance ; et de même, qu’un miroir de 7 pieds aurait brûlé à près de 400 pieds, ce qui ne fait pas des miroirs assez grands pour qu’on puisse les traiter de fabuleux.

Il me reste à observer que Descartes ignorait combien il fallait de fois la lumière du soleil pour brûler ; qu’il ne dit pas un mot des miroirs plans ; qu’il était fort éloigné de soupçonner la mécanique par laquelle on pouvait les disposer pour brûler au loin, et que par conséquent il a prononcé sans avoir assez de connaissances sur cette matière, et même sans avoir fait assez de réflexions sur ce qu’il en savait.

Au reste, je ne suis pas le premier qui ait fait quelques reproches à Descartes sur ce sujet, quoique j’en aie acquis le droit plus qu’un autre ; car, pour ne pas sortir du sein de cette Compagnie[1], je trouve que M. du Fay en a presque dit autant que moi. Voici ses paroles : « Il ne s’agit pas, dit-il, si un tel miroir qui brûlerait à 600 pieds est possible ou non, mais si, physiquement parlant, cela peut arriver. Cette opinion a été extrêmement contredite, et je dois mettre Descartes à la tête de ceux qui l’ont combattue. » Mais quoique M. du Fay regardât la chose comme impossible à exécuter, il n’a pas laissé de sentir que Descartes avait eu tort d’en nier la possibilité dans la théorie. J’avouerai volontiers que Descartes a entrevu ce qui arrive aux images réfléchies ou réfractées à différentes distances, et qu’à cet égard sa théorie est peut-être aussi bonne que celle de M. du Fay, que ce dernier n’a pas développée : mais les inductions qu’il en tire sont trop générales et trop vagues, et les dernières conséquences sont fausses ; car si Descartes eût bien compris toute cette matière, au lieu de traiter le miroir d’Archimède de chose impossible et fabuleuse, voici ce qu’il aurait dû conclure de sa propre théorie. Puisqu’un miroir ardent dont le diamètre n’est pas plus grand que la centième partie de la distance qui est entre le lieu où il doit rassembler les rayons du soleil, fût-il poli par un ange, ne peut faire que les rayons qu’il assemble échauffent plus en l’endroit où il les assemble que ceux qui viennent directement du soleil, ce miroir ardent doit être considéré comme un miroir plan parfaitement poli, et par conséquent, pour brûler à une grande distance, il faut autant de ces miroirs plans qu’il faut de fois la lumière directe du soleil pour brûler ; en sorte que les miroirs dont on dit qu’Archimède s’est servi pour brûler des vaisseaux de loin, devaient être composés de miroirs plans dont il fallait au moins un nombre égal au

  1. L’Académie royale des sciences.