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de même d’une chose qui semble être un paradoxe, c’est que les miroirs ardents, soit par réflexion, soit par réfraction, feraient un effet toujours égal, à quelque distance qu’on les mît du soleil. Par exemple, mon miroir, brûlant à 150 pieds du bois sur la terre, brûlerait de même à 150 pieds et avec autant de force du bois dans Saturne, où cependant la chaleur du soleil est environ cent fois moindre que sur la terre. Je crois que les bons esprits sentiront bien, sans autre démonstration, la vérité de ces deux propositions, quoique toutes deux nouvelles et singulières.

Mais pour ne pas m’écarter du sujet que je me suis proposé, et pour démontrer que Descartes n’ayant pas la théorie qui est nécessaire pour construire des miroirs d’Archimède, il n’était pas en état de prononcer qu’ils étaient impossibles, je vais faire sentir, autant que je le pourrai, en quoi consistait la difficulté de cette invention.

Si le soleil, au lieu d’occuper à nos yeux un espace de 32 minutes de degré, était réduit en un point, alors il est certain que ce point de lumière, réfléchie par un point d’une surface polie, produirait à toutes les distances une lumière et une chaleur égales, parce que l’interposition de l’air ne fait rien ou presque rien ici ; que par conséquent un miroir dont la surface serait égale à celle d’un autre brûlerait à dix lieues à peu près aussi bien que le premier brûlerait à 10 pieds, s’il était possible de le travailler sur une sphère de quarante lieues, comme on peut travailler l’autre sur une sphère de 40 pieds, parce que chaque point de la surface du miroir réfléchissant le point lumineux auquel nous avons réduit le disque du soleil, on aurait, en variant la courbure des miroirs, une égale chaleur ou une égale lumière à toutes les distances, sans changer leurs diamètres : ainsi, pour brûler à une grande distance, dans ce cas il faudrait en effet un miroir très exactement travaillé sur une sphère, ou une hyperboloïde proportionnée à la distance, ou bien un miroir brisé en une infinité de points physiques plans, qu’il faudrait faire coïncider au même point ; mais le disque du soleil occupant un espace de 32 minutes de degré, il est clair que le même miroir sphérique ou hyperbolique, ou d’une autre figure quelconque, ne peut jamais, en vertu de cette figure, réduire l’image du soleil en un espace plus petit que de 32 minutes ; que dès lors l’image augmentera toujours à mesure qu’on s’éloignera ; que, de plus, chaque point de la surface nous donnera une image d’une même largeur, par exemple de 1/2 pied à 60 pieds. Or, comme il est nécessaire, pour produire tout l’effet possible, que toutes ces images coïncident dans cet espace de 1/2 pied, alors, au lieu de briser le miroir en une infinité de parties, il est évident qu’il est à peu près égal et beaucoup plus commode de ne le briser qu’en un petit nombre de parties planes de 1/2 pied de diamètre chacune, parce que chaque petit miroir plan de 1/2 pied donnera une image d’environ 1/2 pied, qui sera à peu près aussi lumineuse qu’une pareille surface de 1/2 pied, prise dans le miroir sphérique ou hyperbolique.

La théorie de mon miroir ne consiste donc pas, comme on l’a dit ici, à avoir trouvé l’art d’inscrire aisément des plans dans une surface sphérique et le moyen de changer à volonté la courbure de cette surface sphérique ; mais elle suppose cette remarque plus délicate et qui n’avait jamais été faite, c’est qu’il y a presque autant d’avantage à se servir de miroirs plans que de miroirs de toute autre figure, dès qu’on veut brûler à une certaine distance, et que la grandeur du miroir plan est déterminée par la grandeur de l’image à cette distance, en sorte qu’à la distance de 60 pieds, où l’image du soleil a environ 1/2 pied de diamètre, on brûlera à peu près aussi bien avec des miroirs plans de 1/2 pied qu’avec des miroirs hyperboliques les mieux travaillés, pourvu qu’ils n’aient que la même grandeur. De même, avec des miroirs plans de 1 pouce 1/2, on brûlera à 15 pieds à peu près avec autant de force qu’avec un miroir exactement travaillé dans toutes ses parties, et, pour le dire en un mot, un miroir à facettes plates produira à peu près autant d’effet qu’un miroir travaillé avec la dernière exactitude dans toutes ses parties, pourvu que la grandeur de chaque facette soit égale à la grandeur de l’image du