Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 2.pdf/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brûlera depuis 30 jusqu’à 40 ; avec trente-quatre glaces, un foyer qui brûlera depuis 40 jusqu’à 52 ; avec quarante glaces, depuis 52 jusqu’à 64 ; avec cinquante glaces, depuis 64 jusqu’à 76 ; avec soixante glaces, depuis 76 jusqu’à 88 ; avec soixante-dix glaces, depuis 88 jusqu’à 100 pieds. Voilà donc déjà une ligne brûlante, depuis 17 jusqu’à 100 pieds, où je n’aurai employé que trois cent vingt-huit glaces ; et, pour la continuer, il n’y a qu’à faire d’abord un foyer de quatre-vingts glaces, il brûlera depuis 100 pieds jusqu’à 116 ; et quatre-vingt-douze glaces, depuis 116 jusqu’à 134 pieds ; et cent huit glaces, depuis 134 jusqu’à 150 ; et cent vingt-quatre glaces, depuis 150 jusqu’à 170 ; et cent cinquante-quatre glaces, depuis 170 jusqu’à 200 pieds : ainsi voilà ma ligne brûlante prolongée de 100 pieds, en sorte que depuis 17 pieds jusqu’à 200 pieds, en quelque endroit de cette distance qu’on puisse mettre un corps combustible, il sera brûlé ; et, pour cela, il ne faut en tout que huit cent quatre-vingt-six glaces de 6 pouces ; et en employant le reste des deux mille glaces, je prolongerai de même la ligne brûlante jusqu’à 3 et 400 pieds ; et avec un plus grand nombre de glaces, par exemple, avec quatre mille, je la prolongerai beaucoup plus loin, à une distance indéfinie. Or, tout ce qui, dans la pratique, est indéfini, peut être regardé comme infini dans la théorie : donc notre célèbre philosophe a eu tort de dire que cette ligne brûlante à l’infini n’était qu’une rêverie.

Maintenant, venons à la théorie. Rien n’est plus vrai que ce que dit ici Descartes au sujet de la réunion des rayons du soleil, qui ne se fait pas dans un point, mais dans un espace ou foyer dont le diamètre augmente à proportion de la distance. Mais ce grand philosophe n’a pas senti l’étendue de ce principe qu’il ne donne que comme une remarque ; car, s’il y eût fait attention, il n’aurait pas considéré dans tout le reste de son ouvrage les rayons du soleil comme parallèles, il n’aurait pas établi comme le fondement de la théorie de sa construction des lunettes, la réunion des rayons dans un point, et il se serait bien gardé de dire affirmativement (p. 131) : « Nous pourrons, par cette invention, voir des objets aussi particuliers et aussi petits dans les astres, que ceux que nous voyons communément sur la terre. » Cette assertion ne pouvait être vraie qu’en supposant le parallélisme des rayons et leur réunion en un seul point, et par conséquent elle est opposée à sa propre théorie, ou plutôt il n’a pas employé la théorie comme il le fallait ; et en effet, s’il n’eût pas perdu de vue cette remarque, il eût supprimé les deux derniers livres de sa Dioptrique : car il aurait vu que, quand même les ouvriers eussent pu tailler les verres comme il l’exigeait, ces verres n’auraient pas produit les effets qu’il leur a supposés, de nous faire distinguer les plus petits objets dans les astres ; à moins qu’il n’eût en même temps supposé dans ces objets une intensité de lumière infinie, ou, ce qui revient au même, qu’ils eussent, malgré leur éloignement, pu former un angle sensible à nos yeux.

Comme ce point d’optique n’a jamais été bien éclairci, j’entrerai dans quelque détail à cet égard. On peut démontrer que deux objets également lumineux et dont les diamètres sont différents, ou bien que deux objets dont les diamètres sont égaux et dont l’intensité de lumière est différente, doivent être observés avec des lunettes différentes ; que, pour observer avec le plus grand avantage possible, il faudrait des lunettes différentes pour chaque planète ; que, par exemple, Vénus, qui nous paraît bien plus petite que la lune, et dont je suppose pour un instant la lumière égale à celle de la lune, doit être observée avec une lunette d’un plus long foyer que la lune ; et que la perfection des lunettes, pour en tirer le plus grand avantage possible, dépend d’une combinaison qu’il faut faire non seulement entre les diamètres et les courbures des verres, comme Descartes l’a fait, mais encore entre ces mêmes diamètres et l’intensité de la lumière de l’objet qu’on observe. Cette intensité de la lumière de chaque objet est un élément que les auteurs qui ont écrit sur l’optique n’ont jamais employé, et cependant il fait plus que l’augmentation de l’angle sous lequel un objet doit nous paraître, en vertu de la courbure des verres. Il en est de