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ARTICLE SECOND

RÉFLEXIONS SUR LE JUGEMENT DE DESCARTES AU SUJET DES MIROIRS D’ARCHIMÈDE, AVEC LE DÉVELOPPEMENT DE LA THÉORIE DE CES MIROIRS ET L’EXPLICATION DE LEURS PRINCIPAUX USAGES.

La Dioptrique de Descartes, cet ouvrage qu’il a donné comme le premier et le principal essai de sa méthode de raisonner dans les sciences, doit être regardée comme un chef-d’œuvre pour son temps ; mais les plus belles spéculations sont souvent démenties par l’expérience, et tous les jours les sublimes mathématiques sont obligées de se plier sous de nouveaux faits ; car, dans l’application qu’on en fait aux plus petites parties de la physique, on doit se défier de toutes les circonstances, et ne pas se confier assez aux choses qu’on croit savoir pour prononcer affirmativement sur celles qui sont inconnues. Ce défaut n’est cependant que trop ordinaire, et j’ai cru que je ferais quelque chose d’utile pour ceux qui veulent s’occuper d’optique que de leur exposer ce qui manquait à Descartes pour pouvoir donner une théorie de cette science qui fût susceptible d’être réduite en pratique.

Son Traité de Dioptrique est divisé en dix Discours. Dans le premier, notre philosophe parle de la lumière ; et comme il ignorait son mouvement progressif, qui n’a été découvert que quelque temps après par Rœmer, il faut modifier tout ce qu’il dit à cet égard, et on ne doit adopter aucune des explications qu’il donne au sujet de la nature et de la propagation de la lumière, non plus que les comparaisons et les hypothèses qu’il emploie pour tâcher d’expliquer les causes et les effets de la vision. On sait actuellement que la lumière est environ 7 minutes 1/2 à venir du soleil jusqu’à nous, que cette émission du corps lumineux se renouvelle à chaque instant, et que ce n’est pas par la pression continue et par l’action, ou plutôt l’ébranlement instantané d’une matière subtile que ses effets s’opèrent : ainsi toutes les parties de ce Traité, où l’auteur emploie cette théorie, sont plus que suspectes, et les conséquences ne peuvent être qu’erronées.

Il en est de même de l’explication que Descartes donne de la réfraction : non seulement sa théorie est hypothétique pour la cause, mais la pratique est contraire dans tous les effets. Les mouvements d’une balle qui traverse de l’eau sont très différents de ceux de la lumière qui traverse le même milieu ; et s’il eût comparé ce qui arrive en effet à une balle, avec ce qui arrive à la lumière, il en aurait tiré des conséquences tout à fait opposées à celles qu’il a tirées.

Et pour ne pas omettre une chose très essentielle, et qui pourrait induire en erreur, il faut bien se garder, en lisant cet article, de croire avec notre philosophe que le mouvement rectiligne peut se changer naturellement en un mouvement circulaire : cette assertion est fausse, et le contraire est démontré depuis que l’on connaît les lois du mouvement.

Comme le second Discours roule en grande partie sur cette théorie hypothétique de la réfraction, je me dispenserai de parler en détail des erreurs qui en sont les conséquences : un lecteur averti ne peut manquer de les remarquer.

Dans les troisième, quatrième et cinquième Discours, il est question de la vision, et l’explication que Descartes donne au sujet des images qui se forment au fond de l’œil est assez juste ; mais ce qu’il dit sur les couleurs ne peut pas se soutenir, ni même s’entendre : car comment concevoir qu’une certaine proportion entre le mouvement rectiligne et un prétendu mouvement circulaire puisse produire des couleurs ? Cette partie a été, comme l’on sait, traitée à fond et d’une manière démonstrative par Newton, et l’expérience a fait voir l’insuffisance de tous les systèmes précédents.