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exemple, à une demi-lieue, il faudrait un miroir deux mille fois plus grand que le mien ; et tout ce qu’on pourra jamais faire, est de brûler à 8 ou 900 pieds tout au plus. Le foyer dont le mouvement correspond toujours à celui du soleil marche d’autant plus vite qu’il est plus éloigné du miroir, et à 900 pieds de distance il ferait un chemin d’environ 6 pieds par minute.

Il n’est pas nécessaire d’avertir qu’on peut faire avec de petits morceaux plats de glace ou de métal des miroirs dont les foyers seront variables, et qui brûleront à de petites distances avec une grande vivacité ; et en les montant à peu près comme l’on monte les parasols, il ne faudrait qu’un seul mouvement pour en ajuster le foyer.

Maintenant que j’ai rendu compte de ma découverte et du succès de mes expériences, je dois rendre à Archimède et aux anciens la gloire qui leur est due. Il est certain qu’Archimède a pu faire avec des miroirs de métal ce que je fais avec des miroirs de verre ; il est sûr qu’il avait plus de lumières qu’il n’en faut pour imaginer la théorie qui m’a guidé et la mécanique que j’ai fait exécuter, et que par conséquent on ne peut lui refuser le titre du premier inventeur de ces miroirs, que l’occasion où il sut les employer rendit sans doute plus célèbres que le mérite de la chose même.

Pendant le temps que je travaillais à ces miroirs, j’ignorais le détail de tout ce qu’en ont dit les anciens ; mais, après avoir réussi à les faire, je fus bien aise de m’en instruire. Feu M. Melot, de l’Académie des belles-Lettres, et l’un des gardes de la Bibliothèque du Roi, dont la grande érudition et les talents étaient connus de tous les savants, eut la bonté de me communiquer une excellente dissertation qu’il avait faite sur ce sujet, dans laquelle il rapporte les témoignages de tous les auteurs qui ont parlé des miroirs ardents d’Archimède : ceux qui en parlent le plus clairement sont Zonaras et Tzetzès, qui vivaient tous deux dans le xiie siècle. Le premier dit qu’Archimède, avec ses miroirs ardents, mit en cendres toute la flotte des Romains : « Ce géomètre, dit-il, ayant reçu les rayons du soleil sur un miroir, à l’aide de ces rayons rassemblés et réfléchis par l’épaisseur et le poli du miroir, il embrasa l’air, et alluma une grande flamme qu’il lança tout entière sur les vaisseaux qui mouillaient dans la sphère de son activité, et qui furent tous réduits en cendres. » Le même Zonaras rapporte aussi qu’au siège de Constantinople, sous l’empire d’Anastase, l’an 514 de Jésus-Christ, Proculus brûla, avec des miroirs d’airain, la flotte de Vitalien qui assiégeait Constantinople ; et il ajoute que ces miroirs étaient une découverte ancienne, et que l’historien Dion en donne l’honneur à Archimède qui la fit, et s’en servit contre les Romains lorsque Marcellus fit le siège de Syracuse.

Tzetzès non seulement rapporte et assure le fait des miroirs, mais même il en explique en quelque façon la construction. « Lorsque les vaisseaux romains, dit-il, furent à la portée du trait, Archimède fit faire une espèce de miroir hexagone, et d’autres plus petits de vingt-quatre angles chacun, qu’il plaça dans une distance proportionnée et qu’on pouvait mouvoir à l’aide de leurs charnières et de certaines lames de métal ; il plaça le miroir hexagone de façon qu’il était coupé par le milieu par le méridien d’hiver et d’été, en sorte que les rayons du soleil reçus sur ce miroir venant à se briser, allumèrent un grand feu qui réduisit en cendres les vaisseaux romains, quoiqu’ils fussent éloignés de la portée d’un trait. » Ce passage me paraît assez clair ; il fixe la distance à laquelle Archimède a brûlé : la portée du trait ne peut guère être que de 150 ou 200 pieds ; il donne l’idée de la construction, et fait voir que le miroir d’Archimède pouvait être, comme le mien, composé de plusieurs petits miroirs qui se mouvaient par des mouvements de charnières et de ressorts, et enfin il indique la position du miroir, en disant que le miroir hexagone, autour duquel étaient sans doute les miroirs plus petits, était coupé par le méridien, ce qui veut dire apparemment que le miroir doit être opposé directement au soleil ; d’ailleurs le miroir hexagone était probablement celui dont l’image servait de mire pour ajuster les autres, et cette figure n’est pas tout à fait indifférente, non plus que celle des