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lument libres de toute cohérence, et qu’elles n’obéissent qu’au seul mouvement produit par leur attraction, cette vitesse acquise est immense dans le point du contact. La chaleur, la lumière, le feu, qui sont les grands effets de la force expansive, seront produits toutes les fois qu’artificiellement ou naturellement les corps seront divisés en parties très petites rencontreront dans des directions opposées ; et la chaleur serait d’autant plus sensible, la lumière d’autant plus vive, le feu d’autant plus violent, que les molécules se seront précipitées les unes contre les autres avec plus de vitesse par leur force d’attraction mutuelle.

De là on doit conclure que toute matière peut devenir lumière, chaleur, feu ; qu’il suffit que les molécules d’une substance quelconque se trouvent dans une situation de liberté, c’est-à-dire dans un état de division assez grande et de séparation telle qu’elles puissent obéir sans obstacle à toute la force qui les attire les unes vers les autres ; car dès qu’elles se rencontreront elles réagiront les unes contre les autres, et se fuiront en s’éloignant avec autant de vitesse qu’elles en avaient acquis au moment du contact, qu’on doit regarder comme un vrai choc, puisque deux molécules qui s’attirent mutuellement ne peuvent se rencontrer qu’en direction contraire. Ainsi la lumière, la chaleur et le feu ne sont pas des matières particulières, des matières différentes de toute autre matière ; ce n’est toujours que la même matière qui n’a subi d’autre altération, d’autre modification qu’une division de parties, et une direction de mouvement en sens contraire par l’effet du choc et de la réaction[NdÉ 1].

Ce qui prouve assez évidemment que cette matière du feu et de la lumière n’est pas une substance différente de toute autre matière, c’est qu’elle conserve toutes les qualités essentielles, et même la plupart des attributs de la matière commune : 1o la lumière, quoique composée de particules presque infiniment petites, est néanmoins encore divisible, avec le prisme on sépare les uns des autres les rayons, ou, pour parler plus clairement, les atomes différemment colorés ; 2o la lumière, quoique douée en apparence d’une qualité tout opposée à celle de la pesanteur, c’est-à-dire d’une volatilité qu’on croirait lui essentielle, est néanmoins pesante[NdÉ 2] comme toute autre matière, puisqu’elle fléchit toutes les fois qu’elle passe auprès des autres corps, et qu’elle se trouve à portée de leur sphère d’attraction ; je dois même dire qu’elle est fort pesante, relativement à son volume qui est d’une petitesse extrême, puisque la vitesse immense avec laquelle la lumière se meut en ligne directe ne l’empêche pas d’éprouver assez d’attraction près des autres corps pour que sa direction s’incline et change d’une manière très sensible à nos yeux ; 3o la substance de la lumière n’est pas plus simple que celle de toute autre matière, puisqu’elle est composée de parties d’inégale pesanteur, que le rayon rouge est beaucoup plus pesant que le rayon violet, et qu’entre ces deux extrêmes elle contient une infinité de rayons

    point du choc étant immense, les efforts de l’attraction ne pourront la réduire à zéro qu’à une distance dont le carré serait également immense ; en sorte que, si le contact était absolu et que la distance des deux corps qui se choquent fût absolument nulle, ils s’éloigneraient l’un de l’autre jusqu’à une distance infinie ; et c’est à peu près ce que nous voyons arriver à la lumière et au feu, dans le moment de l’inflammation des matières combustibles : car dans l’instant même elles lancent leur lumière à une très grande distance, quoique les particules se sont converties en lumière fussent auparavant très voisines les unes des autres.

  1. « La lumière, la chaleur et le feu » ne sont pas des corps matériels, mais simplement des formes particulières du mouvement moléculaire de la matière. (Voyez mon Introduction.) [Note de Wikisource : Pour la lumière, voyez la note précédente ; pour le feu, voyez la fin du mémoire. En effet, la chaleur n’est rien que la manifestation à notre échelle du mouvement incessant qui anime les molécules.]
  2. La lumière, n’étant qu’un « mouvement », ne peut pas être « pesante ». Tout ce qui suit est également faux. (Voyez sur les questions traitées dans ce mémoire mon Introduction.) Il serait trop long et trop difficile de relever ici les unes après les autres toutes les erreurs de détail commises par notre auteur.