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un avantage si considérable qu’on aura une chaleur de tel degré qu’on voudra : par exemple, en opposant à mon miroir un miroir concave de 1 pied carré de surface, la chaleur que ce dernier miroir produira à son foyer, en employant cent cinquante-quatre glaces, sera plus de douze fois plus grande que celle qu’il produit ordinairement, et l’effet sera le même que s’il existait douze soleils au lieu d’un, ou plutôt que si le soleil avait douze fois plus de chaleur.

Secondement, on aura par le moyen de mon miroir la vraie échelle de l’augmentation de la chaleur, et on fera un thermomètre réel, dont les divisions n’auront plus rien d’arbitraire, depuis la température de l’air jusqu’à tel degré de chaleur qu’on voudra, en faisant tomber une à une successivement les images du soleil les unes sur les autres, et en graduant les intervalles, soit au moyen d’une liqueur expansive, soit au moyen d’une machine de dilatation ; et de là nous saurons en effet ce que c’est qu’une augmentation, double, triple, quadruple, etc., de chaleur[1], et nous connaîtrons les matières dont l’expansion ou les autres effets seront les plus convenables pour mesurer les augmentations de chaleur.

Troisièmement, nous saurons au juste combien de fois il faut la chaleur du soleil pour brûler, fondre ou calciner différentes matières, ce qu’on ne savait estimer jusqu’ici que d’une manière vague et fort éloignée de la vérité ; et nous serons en état de faire des comparaisons précises de l’activité de nos feux avec celle du soleil, et d’avoir sur cela des rapports exacts, et des mesures fixes et invariables.

Enfin, on sera convaincu lorsqu’on aura examiné la théorie que j’ai donnée, et qu’on aura vu l’effet de mon miroir, que le moyen que j’ai employé était le seul par lequel il fût possible de réussir à brûler au loin : car, indépendamment de la difficulté physique de faire de grands miroirs concaves sphériques, paraboliques, ou d’une autre courbure quelconque assez régulière pour brûler à 150 pieds, on se démontrera aisément à soi-même qu’ils ne produiraient qu’à peu près autant d’effet que le mien, parce que le foyer en serait presque aussi large ; que, de plus, ces miroirs courbes, quand même il serait possible de les exécuter, auraient le désavantage très grand de ne brûler qu’à une seule distance, au lieu que le mien brûle à toutes les distances ; et par conséquent on abandonnera le projet de faire, par le moyen des courbes, des miroirs pour brûler au loin, ce qui a occupé inutilement un grand nombre de mathématiciens et d’artistes qui se trompaient toujours parce qu’ils considéraient les rayons du soleil comme parallèles, au lieu qu’il faut les considérer ici tels qu’ils sont, c’est-à-dire comme faisant des angles de toute grandeur, depuis zéro jusqu’à 32 minutes, ce qui fait qu’il est impossible, quelque courbure qu’on donne à un miroir, de rendre le diamètre du foyer plus petit que la corde de l’arc qui mesure cet angle de 32 minutes. Ainsi, quand même on pourrait faire un miroir concave pour brûler à une grande distance, par exemple, à 150 pieds, en le travaillant dans tous ses points sur une sphère de 600 pieds de diamètre, et en employant une masse énorme de verre ou de métal, il est clair qu’on aura à peu près autant d’avantage à n’employer au contraire que de petits miroirs plans.

Au reste, comme tout a des limites, quoique mon miroir soit susceptible d’une plus grande perfection, tant pour l’ajustement que pour plusieurs autres choses, et que je compte bien en faire un autre dont les effets seront supérieurs, cependant il ne faut pas espérer qu’on puisse jamais brûler à de très grandes distances ; car pour brûler, par

  1. Feu M. de Mairan a fait une épreuve avec trois glaces seulement, et a trouvé que les augmentations du double et du triple de chaleur étaient comme les divisions du thermomètre de Réaumur ; mais on ne doit rien conclure de cette expérience, qui n’a donné lieu à ce résultat que par une espèce de hasard. Voyez, sur ce sujet, ce que j’ai dit dans mon Traité des éléments.