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de 1 ligne qui tombe sur le milieu de l’écu, on fait tomber sur l’écu tout entier un foyer d’égale intensité, toutes les parties de l’écu étant également échauffées dans ce dernier cas, non seulement il n’y a pas de perte de chaleur comme dans le premier, mais même il y a du gain et de l’augmentation de chaleur, car le point du milieu profitant de la chaleur des autres points qui l’environnent, l’écu sera fondu dans ce dernier cas, tandis que dans le premier il ne sera que légèrement échauffé.

Après avoir fait ces expériences et ces réflexions, je sentis augmenter prodigieusement l’espérance que j’avais de réussir à faire des miroirs qui brûleraient au loin ; car je commençai à ne plus craindre autant que je l’avais craint d’abord la grande étendue des foyers ; je me persuadai au contraire qu’un foyer d’une largeur considérable, comme de 2 pieds, et dans lequel l’intensité de la lumière ne serait pas à beaucoup près aussi grande que dans un petit foyer, comme de 4 lignes, pourrait cependant produire avec plus de force l’inflammation et l’embrasement, et que par conséquent ce miroir qui, par la théorie mathématique, devait avoir au moins 30 pieds de diamètre, se réduirait sans doute à un miroir de 8 ou 10 pieds tout au plus : ce qui est non seulement une chose possible, mais même très praticable.

Je pensai donc sérieusement à exécuter mon projet : d’abord j’avais dessein de brûler à 200 ou 300 pieds avec des glaces circulaires ou hexagones de 1 pied carré de surface, et je voulais faire quatre châssis de fer pour les porter, avec trois vis à chacune pour les mouvoir en tout sens, et un ressort pour les assujettir ; mais la dépense trop considérable qu’exigeait cet ajustement me fit abandonner cette idée, et je me rabattis à des glaces communes de 6 pouces sur 8 pouces, et un ajustement en bois qui, à la vérité, est moins solide et moins précis, mais dont la dépense convenait mieux à une tentative. M. Passemant, dont l’habileté dans les mécaniques est connue même de l’Académie, se chargea de ce détail, et je n’en ferai pas la description, parce qu’un coup d’œil sur le miroir en fera mieux entendre la construction qu’un long discours[1].

Il suffira de dire qu’il a d’abord été composé de cent soixante-huit glaces étamées de 6 pouces sur 8 pouces chacune, éloignées les unes des autres d’environ 4 lignes : que chacune de ces glaces se peut mouvoir en tout sens, et indépendamment de toutes, et que les 4 lignes d’intervalle qui sont entre elles servent non seulement à la liberté de ce mouvement, mais aussi à laisser voir à celui qui opère l’endroit où il faut conduire ses images. Au moyen de cette construction l’on peut faire tomber sur le même point les cent soixante-huit images, et par conséquent brûler à plusieurs distances, comme à 20, 30, et jusqu’à 150 pieds, et à toutes les distances intermédiaires ; et en augmentant la grandeur du miroir, ou en faisant d’autres miroirs semblables au premier, on est sûr de porter le feu à de plus grandes distances encore, ou d’en augmenter autant qu’on voudra la force ou l’activité à ces premières distances.

Seulement il faut observer que le mouvement dont j’ai parlé n’est point trop aisé à exécuter, et que d’ailleurs il y a un grand choix à faire dans les glaces : elles ne sont pas toutes à beaucoup près également bonnes, quoiqu’elles paraissent telles à la première inspection ; j’ai été obligé d’en prendre plus de cinq cents pour avoir les cent soixante-huit dont je me suis servi ; la manière de les essayer est de recevoir à une grande distance, par exemple à 150 pieds, l’image réfléchie du soleil comme un plan vertical ; il faut choisir celles qui donnent une image ronde et bien terminée, et rebuter toutes les autres qui sont en beaucoup plus grand nombre, et dont les épaisseurs étant inégales en différents endroits, ou la surface un peu concave ou convexe au lieu d’être plane, donnent des images mal terminées, doubles, triples, oblongues, chevelues, etc., suivant les différentes défectuosités qui se trouvent dans les glaces.

  1. Voyez ci-après les planches VII, VIII et IX, avec l’explication des figures 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7.